Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/575

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séparation momentanée entre les époux. Cependant, en restant divisés, le duc d’Alençon et le roi de Navarre jouaient le jeu de leurs ennemis ; ils le comprirent à la fin et se réconcilièrent. Le duc en profita pour rapprocher sa sœur de son mari. En présence d’un danger commun, tous trois se concertèrent : il fut convenu que le duc et le roi de Navarre chercheraient la première occasion de s’enfuir de la cour. Le 16 septembre, le duc sortit à pied du Louvre, annonçant qu’il allait rue Saint-Marceau faire visite à une dame de ses amies ; aussitôt entré dans l’hôtel, il en sortit par une petite porte de derrière. Simier, l’un de ses favoris, l’attendait dans un carrosse ; il y monta ; à un quart de lieue plus loin, il trouva des chevaux envoyés par Bussy, et précipitamment il gagna Evreux.

Bussy et le duc d’Alençon hors de Paris, Duguast devait se croire à l’abri de tout danger, mais il s’était attiré bien des ennemis. Le plus redoutable, c’était Vitteaux, qui tout récemment avait tué Alègre, et que Henri III aurait sans doute gracié, quoique Alègre fût l’un de ses familiers, si Duguast ne l’en avait pas détourné. Rentré secrètement à Paris depuis quelques jours, Vitteaux se tenait caché dans le couvent des Augustins. Marguerite vint l’y trouver de nuit, et, lui rappelant tous ses griefs contre Duguast, elle lui arracha la promesse de la venger. Chaque soir, Duguast, après avoir mis des sentinelles autour du Louvre, en plaçait autour de son propre hôtel. Multipliant les précautions, il avait attaché un espion aux pas de son ennemi, mais cet homme avait été gagné à prix d’or et, renseigné par lui, Vitteaux, accompagné de quelques amis, pénétra un soir dans la cour de l’hôtel et se mêla aux nombreux domestiques qui allaient et venaient. Ce soir-là, jouant de malheur, Duguast avait oublié de se faire garder. Tous les domestiques s’étant un à un éloignés, Vitteaux et ses compagnons, restés seuls, frappèrent à la porte de l’antichambre et poignardèrent le valet qui vint l’ouvrir. Tandis qu’une partie d’entre eux restait pour empêcher tout secours, Vitteaux monta à l’étage supérieur. Duguast était au lit et lisait, suivant son habitude. En apercevant son ennemi, il se jeta sur un épieu qui était dans la ruelle ; mais sans lui laisser le temps de s’en servir, Vitteaux lui plongea par deux fois dans la poitrine l’épée courte dont il s’était muni.

Sous le coup de tant d’émotions Marguerite était tombée malade ; elle était au lit quand on vint lui annoncer la mort de Duguast. « C’est la main de Dieu ! » s’écria-t-elle ; mais l’opinion publique ne s’égara pas et l’accusa d’avoir armé le bras de Vitteaux ; Brantôme lui-même ne l’en défend pas. Toutefois, comme l’affection de Henri III pour Duguast s’était un peu refroidie, pour se reporter sur deux nouveaux favoris, Villequier et François d’O, il ne parut