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liaison qui s’ensuivit ne fut pas longtemps un mystère pour Duguast. Grâce à Mme de Sauve, il s’était peu à peu introduit dans les bonnes grâces du roi de Navarre ; il essaya par tous les moyens de lui ouvrir les yeux sur les assiduités compromettantes de Bussy. Le Béarnais était trop occupé ailleurs pour jouer à la jalousie ; il fit la sourde oreille et laissa paisiblement aller les choses. Henri III, qui n’avait, lui, rien à ménager, invita sa mère à prévenir le roi de Navarre, mais cette fois Catherine ne se soucia pas d’intervenir. Bussy lui était presque sympathique. Elle lui savait bon gré de tenir en respect tous ces favoris qui venaient se placer entre elle et le roi son fils. « Je ne sais, dit-elle à Henri III, quels sont les brouillons qui vous mettent telles opinions en sa fantaisie. — Je n’en parle qu’après les autres, répondit-il. — Qui sont ces autres, mon fils ? reprit-elle ; ce sont gens qui vous veulent ainsi mettre mal avec tous les vôtres. » Le roi s’étant retiré sans répliquer, Catherine rapporta tout à Marguerite : « Vous êtes née, ma fille, dit-elle tristement, en un misérable temps. » Étrange époque, en effet, où la galanterie se fait complice du crime, où il y a dans les coupes du poison, dans les baisers des pièges, où en allant à un rendez vous, l’on porte sous son pourpoint une cotte de mailles !

La calomnie lui faisant défaut, Duguast résolut de faire tuer Bussy. Il aposta vingt hommes du régiment des gardes, dont il était colonel, dans la rue où son ennemi devait passer en rentrant à son logis. Quand Bussy parut, suivi par quelques amis, il fut accueilli par une décharge terrible de mousqueterie et la lutte s’engagea : Bussy portait ce jour-là une écharpe colombine. Les assassins s’acharnèrent sur un gentilhomme qui en avait une semblable et le laissèrent pour mort sur la place. Bussy, en reculant, fut acculé à une porte par bonheur restée entr’ouverte ; il la referma sur ses adversaires. Le lendemain, il se présenta à la cour, le visage aussi rassuré que si la veille il eût été à un tournoi ; mais Catherine jugea prudent qu’il s’éloignât. Sa dernière parole en quittant la cour fut une menace : « L’affront qu’on m’a fait sera vengé par plus de sang qu’on ne m’en a tiré. »

N’ayant plus rien à craindre de Bussy, Duguast dirigea toutes ses attaques contre Marguerite. Depuis de longues années, elle tenait auprès d’elle une jeune fille nommée Thorigny, qui avait été élevée avec sa sœur la reine d’Espagne. Duguast persuada à Henri III d’exiger du roi de Navarre son éloignement : « Il ne falloit, disait-il, laisser auprès des jeunes princesses des filles avec lesquelles elles eussent une si particulière amitié. » Longtemps le roi de Navarre résista, mais il finit par céder ; et Thorigny fut renvoyée en province. Blessée au cœur, Marguerite s’en prit à son mari ; il s’ensuivit, une