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le plus gracieux danseur de la cour, n’avait pas dû y être étranger. Tout récemment, il était allé en Angleterre plaider auprès d’Elisabeth la cause de son maître, et l’altière souveraine l’avait trouvé si à son gré que Leicester s’en était montré, et avec quelque raison, très jaloux. Ami des Montmorency, il les avait ralliés au parti du duc, mais il n’était pas de taille pour ces conspirations où l’on joue sa vie. Lors de la récente surprise tentée sur le château de Saint-Germain, qui n’avait manqué que par la précipitation de Guitry, il avait perdu la tête et tout révélé à Catherine. Elle l’avait épargné cette première fois, mais elle le faisait épier, lui et ses amis, n’attendant que l’heure de les prendre tous dans le même filet. Une nouvelle tentative de fuite du duc d’Alençon lui servit de prétexte. Montmorency et Cossé furent mis à la Bastille, et La Môle et Coconas livrés aux bourreaux.

Les comparses paient toujours pour les grands coupables. La torture n’arracha du moins à La Môle aucun aveu qui put se retourner contre son maître, aucune parole qui pût compromettre Marguerite. Interrogé sur une étrange figure de cire trouvée à son logis, il dit qu’elle avait été faite à l’intention d’une jeune fille de sa province qu’il se promettait d’épouser. Si nous en croyons un récit inédit du temps, Catherine (nous aimons à penser que ce fut sur les instances de Marguerite) aurait obtenu de Charles IX qu’on évitât à La Môle et à Coconas la mort publique en place de Grève. Un sursis avait même été accordé et l’on espérait la grâce ; mais le messager envoyé de Vincennes en toute hâte trouva la porte Saint-Antoine fermée. Devançant l’heure, le premier président avait fait monter les deux condamnés sur la fatale charrette. Ils furent exécutés si précipitamment que la sentence ne leur fut pas même lue. La dernière parole de La Môle fut pour se recommander à la benoîte vierge Marie et prier qu’on le rappelât au bon souvenir des dames de la cour. Cette prière fut exaucée ; après la mort de La Môle et de Coconas, « deux grandes dames firent embaumer leur tête et chacune garda la sienne. Les nommer, ajoute Brantôme, seroit une cruauté. »

Durant le court intervalle de temps qui s’écoula entre le supplice de La Môle et la mort de Charles IX, Duguast vint trouver Marguerite et lui remit une lettre du roi de Pologne. « Cette lettre vous sert de sauvegarde, dit-elle, sans cela je vous apprendrais à parler autrement d’une telle princesse que je suis, sœur de deux rois vos souverains. — Je sais bien que vous me voulez du mal, répliqua Duguast ; mais soyez bonne et généreuse pour l’amour de mon maître et écoutez-moi. » Il chercha alors à s’excuser, il nia les propos qu’on lui prêtait, mais sans pouvoir convaincre