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s’élevaient des arcs de triomphe recouverts d’inscriptions composées en leur honneur par le poète de la cour, Jean Daurat. De taille élevée, portant toute leur barbe, vêtus de toile d’or et d’argent, coiffés de leurs grands bonnets de zibeline rehaussés par des aigrettes en pierreries, chaussés de hautes bottes de cuir jaune agrémentées d’ornemens d’acier, ils avaient vraiment grand air, ces Slaves à la figure martiale. Le cortège s’arrêta rue des Augustins, à l’hôtel du prévôt de Paris, Duprat de Nantouillet, qui avait l’honneur de recevoir le chef de l’ambassade, l’évêque de Posen. Après avoir été saluer la reine mère et Louise de Lorraine, les nobles polonais vinrent visiter Marguerite. A leur harangue en latin elle répondit dans la même langue. « Cette seconde Minerve, » ainsi qu’ils l’appelèrent, était dans tout l’épanouissement de sa beauté : sur sa tête un bonnet de velours recouvert d’un semis de perles, dont la plus grosse s’avançait sur son front ; entremêlés de pierreries et de diamans, ses cheveux s’enroulaient tout alentour ; sa robe de brocart, au corsage ouvert, laissait entrevoir cette gorge « pleine et charnue, dont mouroient tous les courtisans. » Brantôme, qui nous le dit, était du nombre. Pris d’éblouissement, Laski, le palatin de Siradie, s’écria : « Je ne veux plus rien voir après une telle beauté. »

Quelle était donc, en réalité, cette beauté qui inspirait un pareil enthousiasme ? Ne demandez à ce charmant visage ni la perfection de l’ovale, ni la pureté de lignes d’un camée antique. Marguerite tenait de sa mère les yeux un peu gros, les joues pleines et arrondies des Médicis. Sa lèvre supérieure était fine, l’inférieure un peu pendante ; sa taille moyenne, mais bien prise ; elle avait les pieds petits, sa gorge était faite de marbre ; mais à quoi bon détailler ? Ce qui séduisait en elle, c’était la flamme provocante de ses yeux, l’éclat de son teint, la finesse, la transparence de sa peau. On l’accusait de coucher dans des draps de satin noir pour en faire ressortir la blancheur. C’était la beauté sensuelle et appétissante qui attire et retient les hommes, « la beauté faite pour nous damner, » dira plus tard, en la voyant au Louvre, don Juan d’Autriche.

A la veille de partir pour la Pologne, le duc d’Anjou essaya de se réconcilier avec sa sœur. Avec les plus doucereuses paroles, il chercha à lui faire oublier son ingratitude et implora ses services. Une douloureuse expérience avait appris à Marguerite à le connaître ; elle ne se laissa pas prendre à ses promesses. À ce moment d’ailleurs, elle ne s’appartenait plus ; elle avait reporté toutes ses affections sur le duc d’Alençon, son compagnon d’enfance, et s’était mise de moitié dans tous ses projets d’ambition. L’homme de confiance, le favori de son frère, le jeune La Môle, le plus séduisant cavalier,