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Inutile de dire que nous avons recueilli tous nos textes dans la collection des Grands Écrivains de la France de M. Ad. Régnier, c’est-à-dire dans l’édition de M. de Montmerqué, en utilisant la publication particulière de M. Capmas. Une table incomparable, où un tel travail était en quelque sorte fait d’avance, une notice excellente de M. Paul Mesnard, qui, en éclaircissant dans le dernier détail la biographie, de Mme de Sévigné, nous fait suivre en même temps année par année celle de sa fille ; des notes d’une érudition prodigieuse, un texte excellent, ou du moins aussi parfait qu’il pouvait être avec les manuscrits que M. de Montmerqué avait entre les mains, c’étaient là des matériaux que nous ne pouvions nous dispenser de consulter. Sans doute, pour lire Mme de Sévigné dans les bois, il faut une édition plus portative ; mais, pour parler d’elle avec autorité et la citer avec exactitude, il n’y a plus aujourd’hui d’autre source que celle-là.


I

Ce serait une erreur de croire qu’il ne nous reste absolument aucune lettre de Mme de Grignan. De ses lettres à sa mère, aucune, à la vérité ; mais nous en avons un certain nombre d’autres, une vingtaine à peu près, dont quelques-unes à son mari, deux à sa fille, avec des fragmens, plusieurs à des amis, et enfin quelques lettres d’affaires[1]. Ces débris peuvent nous donner quelque idée de ce qu’ont dû être les lettres de Mme de Grignan, non complètement toutefois, car nulle femme n’écrit à sa mère comme elle écrit à sa fille, à son mari, et à ses amis.

Nous n’avons qu’une lettre de Mme de Grignan avant son mariage, lorsqu’elle était encore Mlle de Sévigné. C’était l’époque où elle brillait de son plus grand éclat, où elle désespérait les cœurs par sa « tigrerie[2], » où on l’appelait « la belle lionne, » où enfin La Fontaine lui dédiait la jolie fable du Lion amoureux et l’appelait « toute belle, à l’indifférence près. » Elle dansait aux ballets de la cour ; l’on crut un instant qu’elle avait attiré les regards du roi, et le triste Bussy-Rabutin ne se gênait pas, pour regretter que le roi n’eût pas pris une maîtresse dans sa famille. Le billet que nous avons de cette époque ne reflète aucune de ces impressions : ce n’est qu’un billet de bel esprit, un peu froid et contourné, mais agréable, à l’adresse de l’abbé Le Tellier, le frère de Louvois.

  1. Voir surtout le t. X des Lettres de Mme de Sévigné. (Édition Régnier.)
  2. Une des devises inscrites sur les arbres des Rochers était celle-ci : Oh ! que j’aime la tigrerie !