Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après la réception officielle et les complimens d’usage, Catherine et Jeanne d’Albret s’enfermèrent dans une chambre et y restèrent seules jusqu’à une heure avancée de la nuit. Que se passa-t-il entre ces deux femmes d’égale intelligence ? Le lendemain, Catherine parut toute satisfaite. Tout au contraire, le mécontentement de Jeanne perce dans sa première lettre à son fils : « Je suis en mal d’enfant. Il me faut négocier tout au rebours de ce que l’on m’avoit promis. La reine mère veut me faire précipiter les choses et non procéder par ordre ; la reine ne fait que se moquer de moi et me rit au nez. Si vous saviez la peine où je suis, vous auriez pitié de moi, car l’on me tient toutes les rigueurs du monde, de sorte que j’en crève. » Son fils l’ayant priée d’interroger sa fiancée sur la question religieuse, elle chercha, mais inutilement, l’occasion de l’entretenir ; Marguerite ne quittait pas sa mère, et lorsqu’elle rentrait dans ses appartemens, elle avait toujours à ses côtés sa gouvernante, Mme de Curton, qui écoutait tout. Enfin, Jeanne finit par se trouver seule avec elle. Aux questions qu’elle lui fit sur sa religion Marguerite répondit : « Vous savez bien, Madame, que je suis catholique, et de cœur. — Ceux qui m’ont embarquée à ce mariage, répliqua Jeanne, ne m’en ont pas parlé ; sans cela je n’y fusse pas entrée, je vous supplie d’y penser. » Cependant, en faisant part à son fils de cet entretien : « Je crois, ajoutait-elle, que Madame ne parle que comme on la fait parler, et que ce que l’on m’a dit de son désir touchant la religion n’étoit que propos pour nous y faire entendre. Je lui demandai un soir si elle ne vouloit rien vous écrire. Elle ne sonna mot, et, la pressant, elle me dit qu’elle ne pouvoit rien mander sans congé. » Henri de Navarre interrogeant de nouveau sa mère pour savoir ce qu’elle pensait de la beauté de sa fiancée : « J’avoue, répondit-elle, qu’elle est de belle taille, mais elle se serre extrêmement. Quant au visage, c’est avec tant d’aide que cela me fâche, car elle s’en gâte ; mais en cette cour le fard est aussi commun comme en Espagne. »

Depuis son arrivée à Blois, Jeanne d’Albret était dans un état perpétuel d’irritation ; elle ne se plaignait pas moins de ceux de sa religion que de Catherine : « J’ai autour de moi, écrivait-elle à son fils, un escadron de huguenots qui me voudroient entretenir plus pour me servir d’espions que pour m’assister. » Enfin son ardent désir se réalisa ; le mariage fut arrêté le 17 avril.

Il ne restait plus qu’à obtenir la dispense de la cour de Rome, Pie V, jusqu’à l’heure de sa mort, arrivée le 1er mai, l’ayant refusée d’une manière absolue. Charles IX, exaspéré par cette résistance, avait dit à Jeanne : « Ma tante, je vous aime plus que le pape, et j’aime mieux ma sœur que je ne le crains. S’il fait trop sa tête, je prendrai