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bres, en prétendant maintenir les prérogatives du gouvernement dans la direction des affaires extérieures. Si l’on devait se rendre à toutes les sommations radicales, si l’on était absolument obligé de réunir, d’interroger les chambres à chaque instant lorsqu’une question difficile est engagée, il n’y aurait plus de politique possible ; ce serait l’abdication inévitable de la France dans la plupart des affaires qui occupent le monde. Rien n’est plus vrai ; mais si M. le président du conseil est exposé à voir s’élever contre lui ces interprétations abusives, ces prétentions des radicaux, c’est qu’il a contribué lui-même à créer, à propager ces confusions, c’est qu’il a donné l’exemple de l’infidélité aux principes constitutionnels et libéraux, aux devoirs d’un gouvernement sincère et prévoyant. Aujourd’hui, il a raison contre les radicaux, c’est possible ; depuis qu’il est au pouvoir, il n’a cessé, pour sa part, de fausser réellement le régime parlementaire en pratiquant ce système qui consiste à déguiser la vérité aux chambres, à engager les questions les plus sérieuses par subterfuge, à se créer des ressources par des viremens et des dissimulations de crédits, à se servir d’un premier vote pour enchaîner une majorité ahurie, ignorante, en lui imposant la nécessité de votes nouveaux qu’elle n’a pas toujours compris. Et pour pratiquer ce système avec une certaine hardiesse, non sans une certaine dextérité, nous en convenons, qu’a-t-il fait ? Il a plié, il faut l’avouer, le gouvernement à d’étranges usages. Il a trop souvent flatté les ressentimens, les cupidités, les préjugés d’une chambre dénuée de tout sens politique. Il a livré à l’esprit de parti et de secte les intérêts les plus sérieux, l’intérêt même de notre puissance militaire dans la loi de recrutement, et il s’est cru peut-être bien modéré parce qu’en certaines circonstances il a mesuré les concessions aux idées les plus chimériques ou aux plus vulgaires passions. En un mot, il a livré une partie du gouvernement pour garder le reste, pour régner. Avec cela on vit quelquefois sans doute, on réussit à retenir une majorité ; mais que devient ce beau système des libertés constitutionnelles ? Il n’est plus qu’une fiction. On arrive bientôt à cet état difficile à définir où le sentiment des grandes règles de la vie publique paraît émoussé un peu partout, où ni le gouvernement, ni le parlement ne sont dans leur vrai rôle. C’est un peu comme en Chine, où l’on ne sait pas si c’est la paix ou si c’est la guerre ; ici, on finit par ne plus savoir quel nom donner au régime sous lequel vit la France. Qu’on nous entende bien : nous ne disons pas ceci pour diminuer les mérites et contester les dons réels de M. le président du conseil, mais parce qu’il est trop clair qu’il s’est fait par de faux calculs le complice de toutes les altérations d’idées, du désordre croissant des mœurs politiques.

Que font, de leur côté, les partis de ce régime parlementaire qu’ils invoquent quand ils croient en avoir besoin, et qu’ils entendent parfois