la mollesse de cette langue, qui est celle des tragiques de la décadence, — et des derniers, — berce agréablement l’indolence du public ; c’est un petit flot tiède qui coule par l’oreille sans inquiéter le cerveau. J’oserai même dire que l’obscurité de cet idiome et sac noblesse apparente flattent beaucoup de gens : quoi de plus honorable que d’être harangué dans une langue morte ? Cela suppose qu’on la comprend ; et si d’ailleurs on ne la comprend pas, on a de la gloire sans fatigue et de l’agrément sans peine, Il Ce sont des mots d’auteur, » pensent les bonnes gens ; et ils jouissent de cette idée qu’en écoutant ces mots ils célèbrent une cérémonie du culte des lettres. D’autre part, quand un personnage exprime une pensée claire, quand un vers énergique et franc s’adresse à l’intelligence, ou quand deux répliques s’entre-choquent nettement, le plaisir s’avive et va jusqu’au transport : l’applaudissement éclate. Voilà, j’imagine, assez de raisons pour expliquer le nouveau succès de louis XI. Disons vite que M. Albert Lambert, chargé de représenter le roi, a composé ce personnage avec soin et le joue avec animation ; pour ses camarades, constatons qu’ils récitent et déclament les couplets de leurs rôles à peu près comme il convient à cette poésie. J’aurais bien à reprendre chez certain Coitier un peu trop de candeur et de rondeur ; chez certain Commines, un peu de lourdeur. Mais quoi ! est-ce le vrai Commines qui vient lire ses Mémoires « sous cet ombrage épais, » aux premiers feux de l’aurore ? Est-ce le vrai Coitier qui s’écrie :
- Je l’ai vu cultiver ma précoce raison.
- Ses dons m’ont soutenu dans une étude ingrate.
- Quand Montpellier m’admit sur les bancs d’Hippocrate,
- L’hermine des docteurs, conquise lentement,
- Para ma pauvreté d’un stérile ornement !
Cette façon de dire : « Il me fit instruire, et je fus reçu docteur de la faculté de médecine de Montpellier, » — plutôt que de messire Jacques Coitier, médecin ordinaire de Louis XI, n’est-elle pas d’un candidat au prix académique de poésie ? Que dis-je, d’un candidat ! d’un lauréat, couronné pour son « discours en vers » sur la découverte de la vaccine :
- Au fond du Glocester, dont les vertes campagnes
- Nourrissent des taureaux les utiles compagnes,
- Jenner opposait l’art à ce fléau cruel,
- Tribut que la naissance impose à tout mortel…
Assurément, voilà qui est ingénieux, élégant, apprêté ; faudrait-il pourtant exiger d’un malheureux acteur, chargé de produire ces vers sur la scène, autre chose qu’une diction balancée, un ronron de