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ouvragée ? Pour être promenée comme un mannequin à travers une intrigue puérile, pour braver la vengeance et contrarier le mariage d’un troubadour avec une damoiselle de pendule. Ni cet automate, ni les poupées plus grossières qui l’entourent n’ont reçu le moindre souffle ; l’auteur, pour les faire parler, a pu compulser un dictionnaire d’histoire, il n’a écouté ni son cœur ni celui d’aucun homme vivant. Gustave Planche, ayant vu dans la même semaine, à cinq jours d’intervalle, Teresa, de Dumas père, et Louis XI, s’écriait : « La tragédie est morte et le règne du drame commence. » C’est que, dans Teresa, sous le style déclamatoire du romantique, sous le style trop coulant de l’écrivain qu’il fallait mettre en garde, celui-là, contre la facilité de sa veine, on sentait sourdre et courir la passion. Delavigne le disait lui-même avec naïveté : « C’est mauvais, ce que fait ce diable de Dumas ; mais cela empêche de trouver bon ce que je fais. » Et, en effet, le critique, malgré la pureté de son goût, préférait la végétation luxuriante de l’un au petit herbier de l’autre.

Oui, mais ce petit herbier était ordonné à la française ; il ne choquait pas ce goût de la mesure, qui, chez la plupart d’entre nous, se contente de la médiocrité. Il rappelait les dispositions générales auxquelles la grande flore du XVIIe siècle avait habitué la nation ; il admettait en même temps un peu, un tout petit peu de ce pittoresque dont les novateurs faisaient volontiers abus. On gardait, à le contempler, ses sûretés de conservateur, et l’on se passait le caprice d’être libéral à peu de frais. Cet accommodement convenait au caractère national ; il lui convenait surtout vers 1830 ; il n’a pas fini de lui convenir. Ce n’était pas tout, pour plane à nos grands-pères, que de manquer de génie ; encore fallait-il en manquer d’une certaine façon, et cette façon-là ne déplaît pas à tous leurs petits-fils. Offrez à un public français le Richard III, de Shakspeare, et le lendemain les Enfans d’Edouard ; obtenez, par miracle, que les spectateurs soient sincères ; je ne jure pas que beaucoup déclarent avoir ressenti plus de plaisir Le premier jour que le second. Peu de gens, chez nous, aiment de bonne foi le tigre vivant ; on apprécie davantage les animaux du pays, et, s’il faut absolument prendre un tigre, on le préfère en descente de lit.

D’être, en ce sens, et par cet esprit de mesure ou de médiocrité qui s’accorde avec celui du spectateur, un poète français, c’était un avantage deux ans après Hernani, un an avant le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia ; entre Antony et la Tour de Nesle, cette modération laissait reprendre haleine ; même à présent, elle n’endort pas tout le monde. D’ailleurs, cette sagesse ne se contente pas de borner les ouvrages ; elle en aménage l’intérieur selon nos habitudes et même selon nos manies. C’est elle qui fait durer d’un bout à l’autre de Louis XI le pathétique tempéré d’une intrigue entre Nemours et Marie de