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janvier, que Tungché était monté sur le dragon pour s’élever au ciel : ce qui est la façon d’annoncer la mort d’un empereur.

Beaucoup pensèrent que les détails donnés à diverses reprises sur la maladie de Tungché étaient mensongers et avaient eu pour objet de dissimuler un crime. Les incidens qui suivirent fortifièrent cette opinion. L’impératrice Ahluta était enceinte ; si elle mettait au monde un fils, il était l’héritier légitime du trône, et elle-même, suivant les règles invariablement observées, devait être régente. On la tint renfermée dans ses appartemens, puis on annonça que, dans sa douleur, elle avait refusé de prendre aucune nourriture et qu’elle était morte avant d’avoir accouché. Ce qui se passa fut plus étrange encore : l’ordre régulier de succession fut méconnu. Le prince Kung ne revendiqua point la couronne pour lui-même, appréhendant peut-être d’encourir les soupçons de l’opinion ; il aurait pu la réclamer pour son fils ; mais celui-ci était déjà assez âgé pour gouverner par lui-même, et le prince aurait dû renoncer à toutes ses dignités, parce que la loi ne permet pas qu’un père soit le serviteur et le subordonné de son fils. Il fallait un prince mineur pour qu’une régence fût nécessaire. Le choix de la cour s’arrêta sur le fils du prince Chun, Tsaï-Tien, qui était seulement dans sa quatrième année, ce qui assurait une longue minorité. Il fut proclamé sous le nom de Houangsu, et son père se retira de la cour, ce qui priva l’opposition de son chef : les deux impératrices reprirent le gouvernement comme régentes, le prince Kung demeura leur premier ministre, et le nouveau règne débuta par l’exécution des eunuques qui avaient entouré l’infortuné Tungché et qui pouvaient être de dangereux témoins.

Les seuls événemens qui aient marqué les dix dernières années ont été, avec la soumission du Turkestan, la réparation accordée à l’Angleterre pour l’assassinat de M. Margary, la restitution de la province de Kouldja obtenue de la Russie, et l’établissement d’ambassades chinoises en Europe. Seulement, on a pu remarquer que le souvenir des défaites du passé commence à s’effacer à Pékin ; on y croit volontiers qu’il a suffi de prendre quelques Européens au service de l’empire pour élever la Chine au niveau de l’Europe. Après avoir rendu à l’empire ses anciennes frontières, le gouvernement chinois a rappelé aux états voisins leurs devoirs de vassalité. Si, au milieu des préoccupations d’une crise intérieure, il avait laissé passer sans observations le premier traité conclu entre la France et l’Annam, il ne pouvait garder le même silence à l’égard du nouveau traité par laquelle la France se disposait à étendre son autorité jusqu’aux confins de l’empire, le Tonkin étant limitrophe des trois provinces les plus méridionales de la Chine, l’Yunnan, le Kouy-Tchéou et le Kouan-Si, sur une longueur d’environ 120 lieues.