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Européens, et les remontrances énergiques des plénipotentiaires s’ajoutant à la crainte qu’inspirait le ressentiment de la France intimidèrent la cour de Pékin. Malgré l’opposition du prince Chun et de plusieurs des hauts dignitaires, le prince Kung fit décider l’envoi en France d’une mission chargée de présenter des excuses et d’offrir une indemnité pour le meurtre du consul de France ; mais par une de ces transactions spéciales à la politique chinoise, on mit à la tête de cette mission le gouverneur de Tien-Tsin, Tchong-Haou, ce qui était une façon de le soustraire au châtiment qu’il avait mérité par une abstention voisine de la complicité. On sait que la mission chinoise, la première qui ait été envoyée en Europe, n’arriva en France qu’après le renversement du gouvernement impérial ; elle fut reçue par M. Thiers, qui accepta la satisfaction offerte par le gouvernement chinois, mais mit pour condition que, comme il avait lui-même donné audience à Tchong-Haou, l’empereur donnerait également audience au représentant de la France à Pékin.

Cette exigence causa une vive irritation à la cour chinoise ; il s’ensuivit des négociations aigres et prolongées, et la question ne fut résolue qu’au bout de trois années. L’empereur Tungché touchait à sa majorité : il supportait impatiemment la tutelle dans laquelle il était tenu. Il s’était épris de la fille du duc Chung, Ahluta, et les deux impératrices, après une longue résistance, furent contraintes de donner leur assentiment à cette union, qui fut célébrée le 16 octobre 1872. Quatre mois après, le jeune empereur, ayant atteint sa majorité, prit officiellement la direction des affaires. Le fait fut notifié aux représentai des puissances, qui, en réponse, demandèrent collectivement une audience qui finit par leur être accordée et qui eut lieu le 29 juin 1873. Cette nouvelle concession aux exigences de l’Europe fut l’acte le plus marquant d’un règne qui ne devait pas être de longue durée. La mésintelligence se mit promptement entre le jeune empereur et les régentes. Le 10 septembre 1874, parut un édit impérial qui enlevait au prince Kung et à son fils leur rang de membres de la famille impériale. Dès le lendemain, un décret signé des deux impératrices restituait à ces princes leur rang et leurs dignités. Ce second décret, qui annulait le précédent, était une véritable usurpation, car les pouvoirs des deux régentes avaient pris fin avec la majorité de Tungché. Que se passa-t-il alors ? Le palais de Pékin fut-il le théâtre d’une de ces scènes dont la tragédie s’est emparée ? Vit-il une mère sacrifier la vie de son fils à sa passion de régner ou au salut de son amant ? Le bruit se répandit que le jeune empereur était malade : on dit ensuite qu’il était confiné dans ses appartenons par la petite vérole. Le 18 décembre, un édit annonça que les deux impératrices reprenaient la direction des affaires ; un autre édit apprit, le 12