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chrétiens suivent la doctrine de Jésus, qui fut un grand saint, mais qui eut trop bon cœur. Il croyait à tort qu’on peut convertir les méchans par la persuasion ; c’est parce qu’il n’y réussit pas que Dieu envoya Mahomet prêcher le sabre à la main. C’est une des plus grandes miséricordes de Dieu que de forcer les hommes à la vertu. Le rétablissement de la paix est impossible. Si nous tuons des hommes, c’est que le ciel le veut. S’il ne le voulait pas, il trouverait bien le moyen de nous arrêter. Si le ciel veut que nous exterminions la race maudite, ne devons-nous-pas obéir ? Quel dommage que votre évêque ne comprenne pas cette doctrine ! » On le voit, les musulmans étaient convaincus qu’ils faisaient la guerre sainte contre les Tartanes et qu’ils avaient reçu mission de les exterminer. Le Kin-Akound n’autorisa pas les négociations, et les musulmans du Kouy-Tchéou recommencèrent leurs incursions dans la province. Ce ne fut qu’au bout de trois ou quatre ans qu’ils consentirent à déposer les armes, sur la promesse d’un complet oubli du passé. Les musulmans de l’Yunnan ne rentrèrent dans l’obéissance que beaucoup plus tard, après que des torrens de sang eurent coulé. Ce fut seulement le 15 janvier 1873 que Talifou tomba au pouvoir des Chinois. Tu-Wenziu se livra lui-même aux vainqueurs en demandant qu’on épargnât son peuple, mais il avait eu soin de prendre du poison pour échapper aux tortures qu’il prévoyait. Le général chinois le fit décapiter après sa mort et envoya à l’empereur sa tête enduite de miel. Il commença ensuite un massacre en ! règle des défenseurs de Talifou, et il expédia à Yuanan-Fou, pour y être exposés à la vue de la population, les têtes de dix-sept des principaux chefs musulmans et vingt-quatre grands paniers remplis d’oreilles humaines. Ainsi fut pacifié l’Yunnan.

A l’autre extrémité de l’empire, dans les provinces de Shensi et de Khansuh, dans le vaste territoire qui s’étend au sud de la chaîne des monts Tian-Shan et dans le Turkestan oriental, vivent d’autres populations musulmanes désignées sous le nom général de Tonganis. La guerre des Taïpings et une nouvelle tentative des princes khodjas contre Kashgar avaient excité une vive agitation chez ces populations qu’un régime de fer maintient seul sous le joug. Des troubles y éclatèrent en 1861 et se changèrent bientôt en une révolte ouverte. Les troupes rassemblées par le vice-roi du Khansuh furent complètement défaites à Tara-Ussu. Aussitôt toutes les villes, Hami, Barkul, Urumtsi, Turfan, massacrèrent leurs garnisons chinoises, et la rébellion s’étendit de proche en proche jusqu’au Turkestan. Elle eut pour conséquence la fondation, à Kashgar, de l’empire éphémère d’Yakoub-Khan. Cet immense territoire n’est rentré sous la domination chinoise qu’en 1878. Sa soumission exigea un grand-effort et ne fût accomplie qu’au bout de quatre campagnes