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exécutions et les confiscations qu’elles ordonnèrent finirent par déterminer un soulèvement de la population musulmane, et d’un bout à l’autre de l’Yunnan, musulmans et Chinois se massacrèrent tour à tour. L’avantage demeura aux Panthaïs : c’est le nom que les auteurs anglais ont donné, à l’exemple des Birmans, aux musulmans de la Chine méridionale. Ceux-ci mirent à leur tête, comme directeur spirituel, avec le titre de Kin-Akound, un marabout qui avait fait le pèlerinage de La Mecque et qui était revenu dans l’Yunnan en 1846, après un séjour de deux ans à Constantinople et sept années d’absence ; ils avaient pour chef de guerre Tu-Wen-ziu, qui s’empara de Talifou et en fit le siège de son gouvernement, après avoir soumis à son autorité presque toute la province. Il tirait de Singapour et de la Birmanie des armes et des munitions qu’il payait avec le produit des mines de sel de l’Yunnan, unique source d’approvisionnement de la Chine méridionale. A l’exemple de leurs coreligionnaires de l’Yunnan, les tribus musulmanes qui habitent une partie des montagnes du Kouy-Tchéou se soulevèrent dans la conviction que le terme de la domination tartare était arrivé. En 1864, l’évêque catholique du Kouy-Tchéou, Mgr Faurie, avec l’assentiment du vice-roi de la province, fit parvenir au généralissime des musulmans, Ma-Ho-Tou, des propositions de paix. Le chef musulman répondit qu’il devait en référer au Kin-Akound ; mais le ton de sa lettre indique quels sentimens de vengeance et de haine animaient les musulmans. « Que se passe-t-il ? écrivait Ma-Ho-Tou. La luxure et l’avarice occupent le pouvoir : la fourberie et le mensonge triomphent à la cour ; les dignités sont avilies, les magistratures vénales. Les mandarins trompent l’empereur et oppriment le peuple ; ils s’accordent tous dans un égal mépris des lois. Pour comble de malheur, toutes les calamités, la guerre, la peste, la famine, fondent à la fois sur l’empire. Les quelques bons qui restent ne peuvent rien contre le mal : n’est-ce pas une preuve que la dynastie Tsin a fait son temps et que ses deux cents ans sont accomplis ? A la vue de cet empire, bouleversé comme une mer en furie, nous nous demandons quelle main pourra rétablir l’ordre. Cela prouve que nous avons à cœur, nous aussi, le bonheur de tous. C’est pourquoi nous n’avons pu nous empêcher de nous montrer et de prendre sur nous une partie du fardeau. Il y a certainement, dans les hauteurs de l’espace, un esprit puissant qui dirige tout cela. Pour le moment, notre intention est de persévérer dans nos efforts jusqu’à ce que la race diabolique soit anéantie. Alors on pourra protéger les gens de bien. Nous tuons, mais dans une intention salutaire. Qui peut s’en plaindre ? N’est-il pas écrit : Tuer les méchans, pour sauver les bons, est conforme à la raison ? » Le chef musulman dit, de vive voix, à l’envoyé de l’évêque : « Les