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attaqua tout à la fois la ville chinoise et la concession européenne. Ce fut ce qui le perdit. Les Anglais avaient refusé toute assistance militaire aux impériaux ; mais ils avaient, en même temps, averti les Taïpings de ne rien tenter contre les factoreries européennes. L’imprudente attaque de Chung-Wang les fit sortir de la neutralité, et le chef taïping, dans les attaques infructueuses qu’il dirigea contre Shanghaï, trouva devant lui des détachemens anglais et français qui lui firent essuyer de grandes pertes. Pendant qu’il faisait ainsi tuer inutilement ses meilleurs soldats, Tien-Wang et sa cour, rassurés par les succès de deux brillantes campagnes, se rendormaient dans leur indolence accoutumée. Le roi céleste se faisait rendre des honneurs divins, et quand on voulait d’entretenir d’affaires, répondait qu’il n’avait qu’à ordonner la paix pour que les armes tombassent des mains de ses ennemis. Aucun effort n’était fait pour ravitailler Nankin ni pour l’approvisionner de munitions, aucune direction n’était donnée aux généraux, aucun renfort n’était envoyé aux armées. Chun-Wang, pour avoir présenté des observations énergiques à Tien-Wang, fut disgracié pendant quelques semaines. Lorsqu’on lui rendit son commandement, il trouva dans le Kiang-Si de nouveaux adversaires. Les marchands de Shanghaï, désireux de tenir l’ennemi éloigné de leurs murs, avaient souscrit une somme considérable, destinée à l’enrôlement et à l’entretien d’un corps européen. Le vice-roi des deux Kiangs, Tseng-Kouofan, et le gouverneur du Kiang-Si, Li-Hung-Chang, avaient approuvé ce projet et l’avaient recommandé à Pékin.

Le prince Kung y donna d’autant plus aisément son approbation que lui-même avait accueilli la pensée de prendre au service de la Chine une flottille construite en Angleterre et montée par des marins anglais, pour combattre les jonques des Taïpings. Ce corps européen, commandé successivement par deux aventuriers, Ward et Burgevine, rendit d’abord de médiocres services ; mais les choses changèrent lorsque le gouvernement anglais eut autorisé un jeune officier du génie, le capitaine Gordon, à en prendre le commandement, et lorsque celui ci, à l’aide d’un certain nombre de soldats et d’artilleurs anglais, eut formé et dressé à l’européenne cinq régimens chinois. Ce corps, que les Chinois nommèrent « l’Armée toujours victorieuse, » ne justifia pas complètement ce nom ambitieux, puisqu’il essuya deux échecs assez graves ; mais, dans toutes les autres rencontres, il décida la victoire en faveur des impériaux. Chung-Wang défendait le terrain pied à pied avec une valeur et une constance héroïques, mais la trahison lui fit perdre la ville importante de Sou-Tchéou et le contraignit d’évacuer le Cheikiang reconquis par un corps franco-chinois, que dirigeait le commandant Gicquel, fondateur de l’arsenal de Fou-Tchéou. La diplomatie impériale, en