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transmette donc tout ce que je viens de dire ci-dessus, et ainsi sa lettre ne demeurera pas sans réponse. »

Il résultait de cette curieuse dépêche que le gouvernement chinois, fidèle à sa tactique invariable, voulait déplacer le siège des négociations et le reporter le plus loin possible de la capitale, et que le premier ministre refusait d’entrer en relations directes avec les envoyés européens et de communiquer avec eux autrement que par des intermédiaires susceptibles d’êtres désavoués. Lord Elgin et le plénipotentiaire français, le baron Gros, remontèrent à bord de la flotte et parurent avec elle à l’embouchure du Peïho. Un ultimatum de leur part détermina la venue de trois commissaires impériaux de second ordre, qui se trouvèrent avoir pour unique mission de s’enquérir des demandes des étrangers et n’avoir reçu aucun pouvoir pour traiter avec eux. Les envoyés refusèrent de les voir. Un nouvel ultimatum plus catégorique que le premier n’eut point un meilleur résultat, et le ministre de Russie, comte Poutiatine, qui avait offert ses bons offices, fit savoir aux deux plénipotentiaires que l’empereur se refusait à recevoir à Pékin des envoyés étrangers. La réponse ne se fit pas attendre. Les forts de Takou, qui défendaient l’embouchure du Peïho et tous les ouvrages qui protégeaient la jonction du Grand-Canal avec le fleuve furent bombardés et enlevés par les alliés, malgré le courage de la garde impériale tartare, qui était chargée de les défendre et dont beaucoup d’officiers se suicidèrent pour se soustraire au déshonneur de la défaite ; deux dignitaires mandchoux, du plus haut rang, accoururent à Tien-tsin, que les alliés occupaient déjà et y signèrent la paix le 4 juillet 1858. Le gouvernement chinois légalisa le commerce de l’opium et se résigna à ce que les puissances européennes entretinssent à Pékin des représentans qui communiqueraient directement avec lui. On sait comment la guerre se ralluma presque aussitôt. On était convenu d’échanger les ratifications du traité, et pour que la fraude dont on soupçonnait que le traité de Nankin avait été l’objet ne pût être renouvelée, le gouvernement anglais tenait à ce que l’échange eût lieu à Pékin même. Il avait confié cette mission au frère de lord Elgin, à M. Frédéric Bruce, en lui donnant pour instruction de ne se laisser dissuader à aucun prix d’aller à Pékin. M. Bruce trouva l’entrée du Peïho fermée, et comme on refusa de lui livrer passage, il donna à l’amiral Hope l’ordre, d’employer la force ; mais l’escadre et les troupes qu’elle débarqua furent repoussées avec des pertes sensibles. On était au 23 juin 1859, c’est-à-dire à une année de la signature du traité de Tien-tsin.

Ce succès inespéré rendit aux Chinois toute leur présomption, et lorsqu’en mai 1860, une escadre anglo-française arriva devant