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troupes en route et qui étaient chargés de combattre l’insurrection. Le rapport que l’un d’entre eux adressa à l’empereur n’était rien moins que rassurant. « Le pays tout entier, écrivait-il, fourmille de rebelles. Nos fonds sont presque épuisés ; nos soldats sont peu nombreux ; nos officiers se querellent et l’unité du commandement n’existe pas. Le commandant des troupes cherche à éteindre avec une tasse d’eau une charretée de fagots enflammés. » Et le commissaire impérial, sincère pour cette fois, concluait ainsi : « J’ai peur que ceci ne devienne très sérieux. La grande masse de la population se lèvera contre nous, et nos gens eux-mêmes nous abandonneront. » Cette prévision s’était déjà réalisée. Les soldats qu’on avait réunis pour défendre les abords de Canton passèrent en masse du côté des insurgés. Un corps de troupes qu’on fit venir de l’île de Haïnan fut complètement défait. Canton fut sauvé par le dévoûment des Tartares qui étaient établis dans un des quartiers de la ville, comme garnison permanente, mais la ville demeura bloquée.

Non-seulement les commissaires impériaux ne réussirent point à faire rentrer dans l’obéissance les trois provinces où l’insurrection avait d’abord éclaté, mais le mouvement gagna les provinces voisines de Hounan et de Sze-Ghuen. Partout, le bruit se répandait qu’un descendant des Mings avait paru, qu’il était visiblement entouré de la faveur céleste et qu’il allait rétablir la dynastie nationale. On ne connaît point de document dans lequel Hung-Hsihuen ait revendiqué pour lui-même une origine royale ; mais l’opinion générale ne tarda pas à la lui attribuer. Il exerçait une autorité absolue et recevait des siens les honneurs impériaux. Il avait pris le nom de Tien-Kwoh, ou Envoyé céleste ; mais le nom sous lequel il fut le plus fréquemment désigné et sous lequel il fut connu des Européens est Tien-Wang, ou le Roi céleste. Wang signifie un personnage investi d’une grande autorité, et on le trouve traduit indifféremment par roi, prince ou chef. Il vit venir à lui un très grand nombre de lettrés et de mandarins, quelques-uns même d’un rang élevé, mais tous de naissance chinoise : il n’en accueillait point d’autres. Bientôt il organisa sa cour et distribua des titres et des commandemens aux plus capables ou aux plus importans de ses adhérens. Son beau-frère, Seaou-Tchou devint, Shih-Wang, ou commandant de l’Ouest ; Fung-Ynn-Sand devint Nan-Wang, ou commandant du Sud ; Wei-Ching reçut le titre de Peï-Wang, ou commandant du Nord ; Yang-seu-Tsing celui de Tung-Wang, ou commandant de l’Est ; enfin Shih-Takai devint E-Wang, ou aide-commandant, quelque chose comme un chef d’état-major général. Ce dernier était un Chinois de bonne famille, très lettré et occupant des fonctions élevées, lorsqu’il se rallia aux insurgés. C’était, avec Tung-Wang, le plus