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déclarons donc, à vous tous, fonctionnaires grands et petits, que si, à partir de ce jour, vous ne renoncez pas à vos anciens erremens et ne tenez pas compte de notre présente décision, nous sommes résolus à vous punir sévèrement, en vous appliquant les dernières rigueurs de la loi, sans vous montrer la moindre indulgence et sans permettre à la clémence de tempérer le châtiment, car la crise actuelle rend cette sévérité indispensable. Raisonnons un instant sur ce sujet. Admettons que les intérêts du pays et la vie de nos sujets n’aient point de liens avec vos affaires personnelles ou celles de votre famille, ne devez-vous pas avoir quelque souci de votre nom et de votre bonne réputation, et pouvez-vous devenir volontairement d’infidèles serviteurs de la dynastie mandchoue ? Une telle conduite n’est-elle pas une stupidité ? Après tout, il se peut que l’influence du raisonnement ait peu ou point de force sur vous : il se peut que vous tous, grands et petits fonctionnaires, vous ne vouliez point prendre la peine de vous conformer aux vrais principes et que vous estimiez relativement plus facile de nous tromper, isolé que nous sommes à la tête de l’état ; mais veuillez lever la tête en haut et songer au ciel au-dessus de vous, qui voit et juge tout ici-bas, et demandez-vous si vous n’avez rien à craindre de ce côté ? Ceci est une proclamation spéciale, respectez-la. »

On remarquera que, dans cette singulière proclamation, Hien-Fung se plaint d’être trompé par les fonctionnaires. Son père Taou-Kwan avait fait entendre la même plainte dans une circonstance également critique : « Mes serviteurs, avait-il dit, ne savent pas ce que c’est que la vérité. » Le mensonge était la plaie de cet immense empire. Se fiant sur l’éloignement qui les séparait de la cour et sur la lenteur des communications, les hauts fonctionnaires administraient à leur guise et, pour ne point compromettre leur position et ne pas s’exposer à perdre la faveur du maître, ils taisaient leurs mésaventures et leurs échecs, présentaient les événemens sous les plus fausses couleurs, et n’avouaient rien jusqu’à ce que la situation fût devenue trop grave pour être dissimulée. Il fut bientôt impossible de cacher au souverain l’importance des événemens qui s’accomplissaient dans les provinces du Sud. La capitulation de la forteresse de Nanning avait rendu les insurgés maîtres du cours du Sikiang, qui est la grande voie de communication de cette région : ils avaient entraîné ou soumis presque toute la province de Kouan-Tung, et un corps de trente mille hommes marchait sur Canton. Ils avaient également pénétré dans le nord du Kouy-Tchéou, et ils avaient mis le siège devant Kweiling, le capitale du Kouan-Si, et la seule place de cette province qui ne fût pas tombée en leur pouvoir. On fit partir de Pékin, avec le titre de commissaires impériaux, trois Tartares d’un rang élevé qui avaient pleins pouvoirs pour lever des