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démarches auprès des commandans de l’escadre et auprès de leur consul pour qu’on ne donnât aucune suite à l’ultimatum. On convint, de part et d’autre, de s’en remettre à la décision de l’empereur. Le pauvre Taou-Kwang fut fort embarrassé : il exprima dans sa réponse les dispositions les plus amicales, pour les étrangers et le plus vif désir de voir la paix et la bonne harmonie régner entre les deux nations ; mais, ajoutait-il, « l’inclination des cœurs du peuple est la base des décrets du ciel. Maintenant, il est évident que le peuple de Canton est unanime dans la détermination de ne point laisser des étrangers entrer dans la ville ; comment pourrais-je faire afficher partout mon ordre impérial et imposer à ce peuple une conduite contraire à sa volonté ? » N’est-il point assez inattendu de trouver dans la bouche du Fils du Ciel cette sorte d’hommage au suffrage universel ? Les Anglais eurent le bon sens de reconnaître qu’ils ne pouvaient, sans imprudence, faire violence aux sentimens de toute une population.

L’impératrice mère venait de mourir : Taou-Kwang lui-même se sentait mortellement atteint. Cet esprit superstitieux était surtout frappé de ce que, le 12 février 1850, le premier jour d’une nouvelle année pour la Chine, devait être marqué par une éclipse de soleil : il considérait cette coïncidence comme un présage assuré de malheur, et, dans l’espoir de conjurer cette influence néfaste, il ordonna que le commencement de l’année serait avancé d’un jour. Le respect des échéances l’emporta sur l’obéissance due au Fils du Ciel, cet édit ne fut point exécuté, et, à Shanghaï, des Chinois poussèrent l’irrévérence jusqu’à arracher publiquement les placards apposés par ordre des autorités. Taou-Kwang succomba, quelques jours plus tard, après avoir désigné pour son successeur, à la suite d’un conseil de famille, Yihchou, le quatrième de ses fils. Dans son testament, il ne revendiquait pour lui-même d’autre mérite que d’avoir aimé la paix et l’économie ; il défendait qu’on gravât sur un monument de pierre une notice commémorative de ses vertus et qu’on plaçât dans le temple de ses prédécesseurs la tablette de bois destinée à rappeler son règne. Cette modestie lui était sans doute inspirée par le : souvenir de son aïeul Kiang-Long, dont il avait vu la gloire, et par la conscience de la décadence où l’empire était tombé. Le règne de son fils devait être marqué par de plus grands malheurs encore, bien que le collège des Hanlin eût fait choix pour lui du nom de Hien-Fung, qui veut dire félicité parfaite.


II

Le nouvel empereur avait dix-huit ans, et son premier acte fut de faire appel, par une proclamation, au dévoûment de tous les