Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apportée dans leur perception. En 1803, quatre années seulement après la mort de Kiang-Long, un jour que Kia-King, entouré de son cortège ordinaire, traversait les rues de Pékin porté sur le palanquin impérial, son escorte fut brusquement attaquée et dispersée ; lui-même aurait été arraché de son palanquin et mis à mort sans le dévoûment de ses eunuques, dont plusieurs se firent tuer en le défendant. Des nombreux spectateurs de cette attaque qui eut lieu en plein jour, six seulement se portèrent au secours de leur souverain. D’actives recherches furent ordonnées aussitôt, et l’on apprit coup sur coup le châtiment et la disgrâce de plusieurs des plus hauts dignitaires et d’un certain nombre de membres de la famille impériale, accusés d’avoir manqué de vigilance et de perspicacité dans l’exercice de leurs fonctions, ou soupçonnés d’avoir trempé dans le complot. Il s’agissait, en effet, d’une vaste conspiration pour le renversement de la dynastie, organisée par une société secrète qui s’intitulait « société du Nénuphar blanc. » L’insuccès de l’attaque dirigée contre la personne de Kia-King n’empêcha point l’insurrection qui était préparée d’éclater. Une sorte de gouvernement révolutionnaire s’installa dans la ville de Kouo-Kien, au centre de la province de Shantung, à moins de cinquante lieues de Pékin, et une proclamation de Kia-King lui-même nous apprend que, du Shantung, l’insurrection gagna les provinces de Honan, Shensi et Sze-Chouen, c’est-à-dire le centre presque tout entier de l’empire. Les vieux généraux de Kiang-Long furent chargés de dompter cette insurrection, mais, bien que les révoltés, faute d’armes et faute d’organisation militaire, n’eussent réussi à s’emparer d’aucune ville fortifiée, leur soumission ne fut point une tâche facile : Kouo-Kien ne retomba au pouvoir des armées impériales qu’au bout de plusieurs années, et il ne fallut, pas moins de huit ans pour avoir complètement raison de cette rébellion.

Bien que les généraux impériaux eussent répandu des flots de sang et que le seul soupçon d’avoir appartenu à la société du Nénuphar blanc eût été un arrêt de mort, ni les rigueurs du gouvernement ni les exécutions sommaires n’étouffèrent l’esprit de révolte. L’association proscrite se transforma ou plutôt changea de nom en revêtant les apparences d’une société charitable et philosophique, la Thiente-Ouy, ou société des Frères de la Raison céleste. Le premier article de ses règles imposait à tous les frères de partager le bien et le mal qui pourrait arriver à chacun d’eux. Son objet était d’amener un accord parfait, une complète harmonie entre le ciel, la terre et l’homme, et la place constante que ces trois termes ou leurs signes représentatifs occupaient dans la phraséologie ou dans les emblèmes adoptés par l’association valut à celle-ci, de la part des Européens, le nom de société de la Triade. Comment l’harmonie que l’on poursuivait pouvait-elle être établie ? Par le