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la voie du meurtre : coûte que coûte, les mécréans périront, tout de suite. Pour aller plus vite, il faut escamoter leurs têtes, et, comme « au Comité de salut public, jusqu’à ce moment, tout s’est fait de confiance[1], » seul avec Couthon, sans prévenir ses collègues, il rédige, apporte et fait voter par la Convention la terrible loi de prairial qui met à sa discrétion toutes les vies. — Dans sa hâte cauteleuse et maladroite, il a demandé trop ; à la réflexion, chacun s’alarme pour soi-même ; il est forcé de reculer, de protester qu’on l’a mal compris, d’admettre une exception pour les représentans, partant de rengainer le couteau qu’il mettait déjà sur la gorge de ses adversaires. Mais il ne l’a pas lâché, il les guette, et, simulant la retraite, affectant le renoncement[2], tapi dans son coin, il attend qu’ils se discréditent pour sauter sur eux une seconde fois. Cela ne tardera guère ; car la machine d’extermination qu’il a installée le 22 prairial demeure entre leurs mains, et il faut qu’elle fonctionne entre leurs mains selon la structure qu’il lui a donnée, c’est-à-dire à tours accélérés, presque au hasard : à eux, l’odieux du massacre en grand et aveugle ; non-seulement il ne s’y oppose pas, mais, tout en feignant de s’abstenir, il y pousse. Renfermé dans son bureau particulier de police secrète, il commande des arrestations[3], il lance Herman son limier en chef, il prend lui-même, il signe le premier, il expédie sur-le-champ l’arrêté qui suppose des conspirations parmi les détenus et qui, instituant les

  1. Buchez et Roux, 183 (Mémoires de Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, Vadier et Barère) : Le lendemain du 22 prairial, dans la séance du matin au Comité de salut public : « Je vois bien que je suis seul et que personne ne me soutient, » dit Robespierre ; et « aussitôt il entre en fureur, il déclame avec violence contre les membres du comité, qui ont conspiré, dit-il, contre lui. Ses cris étaient si forts que, sur les terrasses des Tuileries, plusieurs citoyens s’étaient rassemblés. » Ensuite « il poussa l’hypocrisie jusqu’à répandre des larmes. » — Je crois plutôt que la machine nerveuse était à bout. Un autre membre du comité, Prieur (Carnot, Mémoires, II, 525), raconte qu’en floréal, à la suite d’une autre scène très longue et très violente, « Robespierre épuisé se trouva mal. »
  2. Carnot, Mémoires, I, 526 : « Comme son bureau était établi dans un local séparé et que nul de nous n’y mettait les pieds, il pouvait s’y rendre, et s’y rendait, en effet, sans nous rencontrer. Il affectait même de traverser les salles du comité après la séance, et il signait quelques pièces, ne s’abstenant réellement que de nos délibérations communes. Il avait chez-lui de fréquentes conférences avec les présidens du tribunal révolutionnaire, sur lequel son influence s’exerçait plus que jamais. » (Récit de Prieur.)
  3. Dauban, Paris en 1794, 563. — Archives nationales, AF, II, 58. On trouve là des signatures de la main de Robespierre sous plusieurs arrêtés du comité de salut public, le 5 et le 7 messidor, puis, ultérieurement, d’autres signatures de Saint- Just et Conthon, jusqu’aux 3, 6 et 7 thermidor. Cf. F7 4437, 4438.