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un prêtre qui a ses dévotes. » — Aux Jacobins, quand il débite son « amphigouri, » il y a des sanglots d’attendrissement, « des cris, des trépignemens à faire crouler la salle[1]. » Un spectateur demeurant froid, on le regarde, on murmure, il est obligé de s’esquiver, comme un hérétique fourvoyé dans une chapelle au moment de l’office. — A mesure que les foudres de la révolution tombent plus pressées sur les autres têtes, Robespierre monte plus haut dans la gloire de son apothéose. On lui écrit qu’il est « le fondateur de la république, le génie incorruptible qui voit tout, prévoit tout, déjoue tout, qu’on ne peut ni tromper ni séduire[2], qu’il a l’énergie d’un Spartiate et l’éloquence d’un Athénien[3], qu’il couvre la république de l’égide de son éloquence[4], qu’il éclaire l’univers par ses écrits, qu’il remplit le monde de sa renommée, qu’il régénère ici-bas le genre humain[5], que son nom est et sera en vénération dans tous les siècles présens et futurs[6], qu’il est le Messie que l’Etre éternel a promis pour réformer toute chose[7]. » — « Une popularité énorme, » dit Billaud-Varennes[8], une popularité qui, fondée sous la Constituante, « ne fit que s’accroître pendant la Législative, et plus tard encore davantage, tellement que, dans la Convention nationale, il se trouva bientôt le seul qui fixât sur sa personne tous les regards… Avec cet ascendant sur l’opinion publique,.. avec cette prépondérance irrésistible, lorsqu’il est arrivé au Comité de salut public, il était déjà l’être le plus important de la France. » Au bout de trois ans, un chœur qu’il a formé et qu’il dirige[9], mille voix à l’unisson lui répètent infatigablement sa litanie, son Credo intime, l’hymne en trois versets qu’il a composé en son

  1. Fiévée, Correspondance (Introduction).
  2. Rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre. — Pièces justificatives n° 20. (Lettre du président et du secrétaire du comité de surveillance de Saint-Calais, 15 nivôse an II.)
  3. Ibid., n° 18. (Lettre de V.., ancien inspecteur des droits réservés, 5 février 1792.)
  4. lbid., n" 8. (Lettre de P. Briancourt ; Sedan, 29 août 1793)
  5. Ibid., n° 1. (Lettre de Besson avec une adresse de la Société populaire de Manosque, 23 prairial an II.)
  6. Ibid., n° 14. (Lettre de D., membre du club des Cordeliers, ancien mercier, 31 janvier 1792.)
  7. Ibid., n° 12. (Lettre de C. Château-Thierry, 30 prairial an II.)
  8. Hamel, III, 682 (d’après le manuscrit de Billaud-Varennes, aux Archives nationales.)
  9. Moniteur, XXII, 115 (séance du 18 vendémiaire an III, discours de Laignelot). « Robespierre tenait dans sa main toutes les sociétés populaires. »