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ses chambres. C’est ce qu’elle lui écrivait et ce qui lui attirait la riposte suivante : « Ma bonne, je suis en colère contre vous. Comment avez-vous la cruauté de me dire, connaissant mon cœur comme vous faites, que vous m’incommoderez chez moi, que vous me prendrez mes chambres, que vous me romprez la tête. Allez, vous devriez être honteuse ! » Déjà commençaient, à cette époque, les embarras d’argent, les inquiétudes de Mme de Sévigné à ce sujet et son admiration pour l’habileté et la fermeté de sa fille dans ces embarras : « Le bien bon approuve tout ce que vous avez résolu pour contenter ce diable de Jabac. Que peut-on faire dans ces ridicules occasions ? Nous vous admirons de payer si bien vos intérêts et de vivre comme vous faites. »

Pendant son séjour à Paris, la comtesse avait été en froid avec Mme de Coulanges, qu’elle trouvait médisante ; il est probable qu’elle avait écrit que Mme de Coulanges et elle s’étaient coupé la gorge ensemble, car celle-ci répond : « Vous me parliez l’autre jour de gorge coupée, elle ne l’a été qu’autant que vous l’avez voulu, et même je vous assure qu’il a été question, depuis quelque temps, de parler de vous. Elle fit au-delà de tout ce qu’on peut souhaiter de bon et d’à propos, et si naturelle, que nulle de vos amies ne pourrait mieux faire. »

Mme de Sévigné pliait devant le caractère plus fort et plus énergique de sa fille. Elle désirait la faire rester à Paris ; mais elle craignait de lui parler en face ; elle lui écrivait (pendant que celle-ci était à Livry) ce qu’elle n’osait lui dire : « Mes lettres sont plus heureuses que mes paroles. Je m’explique mal de bouche quand mon cœur est si touché… Je crains vos éclats ; je ne puis les soutenir… Je suis muette et saisie. » Cette fois, Mme de Sévigné l’emporta, et elle garda sa fille un an de plus. De retour à Grignan, les détails familiers de la vie remplissent de nouveau les lettres. Ce sont des chemises qu’on a commandées à Paris et qui ne viennent pas, c’est un cuisinier que l’on demande et dont on n’a plus besoin aussitôt qu’il est en route, ce sont des visites inattendues qu’il faut recevoir sans être préparée : « On ne peut être plus étonnée que je ne le suis de vous voir avec M. et Mme de Mesme. J’ai cru que vous vous trompiez et que c’était à Livry que vous alliez les recevoir. Auront-ils trouvé votre château d’assez grand air ? Vous m’étonnez de votre souper sans cuisinier et de votre musique sans musicien. » Mme de Grignan avait un maître d’hôtel honnête, mais dépensier, et elle disait « qu’elle aimerait mieux une infidélité pleine d’économie qu’une sotte fidélité. »

Mme de Grignan s’impatientait des incohérences que la distance des lieux et du temps amenait dans les conversations par lettres ; Mme de Sévigné, au contraire, voulait qu’on en prît son parti ;