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et elle risquait une maxime quelque peu douteuse en disant que « l’ostentation des personnes modestes n’offense point l’orgueil des autres. » Une seule chose fâchait Mme de Sévigné dans ces grandeurs d’apparat, c’était l’obligation officielle de communier souvent, que, par politique, Mme de Grignan acceptait courageusement, mais que la dévotion vraiment chrétienne de sa mère, élevée par Arnauld et Port-Royal, ne pouvait admettre : « J’avoue, ma chère enfant, qu’au milieu de tout ce grand bruit, la communion m’a surprise ; il y a si peu que Pentecôte est passé ! Il faut croire que la place que vous tenez demande ces démonstrations… Enfin, ma belle, vous savez mieux que personne votre religion et vos devoirs : c’est une grande science. »

On était retourné à Grignan, on y avait reçu la visite du duc de Chaulnes, nommé ambassadeur auprès du saint-père. Il était passé par Grignan en se rendant à Rome. On le reçut avec toute la splendeur du lieu : « Parlons du récit de la visite du bon duc de Chaulnes, de la réception toute magnifique, toute pleine d’amitié que vous lui avez faite, un grand air de maison, une bonne chère, deux tables, comme dans sa Bretagne, servies à une grande compagnie sans que la bise s’en soit mêlée… Je vois tout cela avec un plaisir que je ne puis vous représenter. Je souhaitais qu’on vous vît dans votre gloire, ou au moins votre gloire de campagne, et qu’il mangeât chez vous autre chose que notre poularde et notre omelette au lard… Je trouve fort galant et fort enchanté ce dîner que vous avez fait trouver avec la baguette de Flame (le maître d’hôtel) à cette Arche de Noé que vous dépeignez si plaisamment. » Mais ce convive si magnifiquement traité ne se montra pas très aimable : « Vous m’étonnez… Je vous assure que, pendant notre voyage, il était d’aussi bonne compagnie qu’il est possible ; je ne le connais plus au portrait que vous faites… » C’est peut-être pour cette raison que Mme de Grignan, toujours plus rancunière que sa mère, eut beaucoup plus de peine à pardonner au duc de Chaulnes sa conduite dans l’affaire de la candidature de son frère à la députation de Bretagne. On avait compté sur lui pour pousser le marquis à la cour ; mais dans l’intervalle, il avait été nommé ambassadeur, avait eu mille affaires en tête ; bref, il n’avait rien fait. Mme de Sévigné est obligée de le défendre contre sa fille, et elle le fait avec un sentiment d’équité qui lui fait grand honneur : « Eh bien ! soyez donc en colère contre M. de Chaulnes… Je fais M. de Grignan juge de ce que je dis, et je ne reçois le jugement tumultueux qui me paraît dans votre lettre que comme un effet de votre amitié. » La comtesse croyait que ce pardon était quelque chose de contraint et que sa mère cachait son mécontentement sous la générosité. Mais Mme de Sévigné se montre