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Mme de Sévigné revient à Paris, et la correspondance, interrompue en 1685 par ce retard (sauf une petite reprise d’un mois en 1687), ne reprend définitivement qu’en 1688, pour continuer sans interruption jusqu’en 1690. Il n’y a donc plus que deux ans de correspondance : Mme de Sévigné a soixante-deux ans et Mme de Grignan en a quarante-deux. La jeunesse était passée pour celle-ci, la vieillesse arrivait pour celle-là. Les enfans grandissaient ; le petit marquis faisait à Philipsbourg ses premières armes ; Pauline, retirée du couvent, se formait à côté de sa mère. On l’avait menée à Marseille. Mme de Grignan racontait son étonnement et ses joies : « Ma chère enfant, votre vie de Marseille me ravit ; j’aime cette ville, qui ne ressemble à nulle autre. Ah ! que je comprends bien les sincères admirations de Pauline ! Que cela est naïf ! que cela est vrai ! que toutes ces surprises sont neuves ! Il me semble que je l’aime et que vous ne l’aimez pas assez. » C’est que Mme de Grignan se plaignait vivement des défauts que le couvent n’avait pas corrigés : « Vous voudriez qu’elle fût parfaite ; avait-elle gagé de l’être au sortir du couvent ? Vous vouliez donc qu’elle fût un prodige prodigieux comme il n’y en a jamais eu ? » Cependant Mme de Grignan insistait et relevait surtout l’humeur revêche de sa fille. Mme de Sévigné lui répondait admirablement : « Je n’eusse jamais cru qu’elle eût été farouche, je la croyais toute de miel ; mais ne vous rebutez point, elle a de l’esprit, elle vous aime, elle s’aime elle-même, elle veut plaire… Entreprenez donc de lui parler raison et sans colère, sans la gronder, sans l’humilier, car cela révolte. » Mme de Grignan était pour l’autorité et l’éducation dure ; Mme de Sévigné, plus libérale et toute moderne, était pour l’éducation attrayante et douce : « Faites-vous de cet ouvrage une affaire d’honneur et même de conscience. » On commençait aussi à s’occuper des lectures de Pauline. Celle-ci, comme sa mère, n’aimait pas l’histoire : « Je la plains de ne point aimer à lire des histoires, c’est un grand amusement. Estime-t-elle au moins les Essais de morale et l’Abbadie, comme sa chère maman ? » Elle avait un confesseur qui voulait lui interdire les pièces de théâtre. La dévotion éclairée et l’esprit élevé de Mme de Sévigné se révolte contre cette pratique étroite, que Mme de Grignan n’était pas très éloignée d’approuver : « Je ne pense pas que vous ayez le courage d’obéir à votre père Lanterne. Voudriez-vous ne pas donner le plaisir à Pauline, qui a bien de l’esprit, d’en faire quelque usage en lisant les belles comédies de Corneille, et Polyeucte, et Cinna, et les autres ? N’avoir de la dévotion que ce retranchement sans y être portée par la grâce de Dieu me paraît être bottée à cru. Je ne vois pas que M. et Mme de Pomponne en usent ainsi avec Félicité, à qui ils font