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que de louer. » Encore quelques paroles textuelles, d’un tour vif et mordant. À propos de la question de la régale, où le clergé de France prenait parti pour le roi contre le pape, c’est-à-dire contre lui-même, Mme de Grignan le comparait à la femme de Sganarelle, dans le Médecin malgré lui : « De quoi vous mêlez-vous, saint-père ? Nous voulons être battue ! » Et, à propos de la même querelle, où les évêques étaient divisés, elle remarquait que ceux-ci « se disaient autant de vérités que d’injures. »

Mme de Grignan, comme toutes les personnes dont l’amour-propre est très fier, aimait à se diminuer et à se rabattre elle-même pour ne pas être rabattue par autrui. Cette humilité voulue nous vaut, de la part de sa mère, un portrait d’elle, flatté sans doute, mais dont les traits essentiels paraissent vrais : « À qui en avez-vous, ma bonne, de dire pis que pendre de votre esprit si beau et si bon ? Y a-t-il quelqu’un au monde qui soit plus éclairé et plus pénétré de la raison et de vos devoirs ? Et vous vous moquez de moi, vous savez bien que vous êtes au-dessus des autres ; vous avez de la tête, du jugement, du discernement, de l’incertitude à force de lumières, de l’habileté, de l’insinuation, des desseins quand vous voulez, de la prudence, de la conduite, de la fermeté, de la présence d’esprit, de l’éloquence et le don de vous faire aimer quand il vous plaît, et quelquefois plus et beaucoup plus que vous ne voudriez ; pour tout dire, en un mot, vous avez du fond pour être tout ce que vous voudrez. » Tous ces traits accumulés répondent très bien à l’idée que l’on se fait de la grande dame, femme de tête, habile aux affaires, propre au gouvernement, connaissant les hommes et sachant user avec eux d’insinuation et d’adresse, un peu irrésolue par l’abondance des idées ; mais, après tout, ayant toujours une conduite ferme et suivie. Ajoutez-y le revers de la médaille : peu de tendresse, si ce n’est par élans subits ; point de grâce, de l’esprit par saillies, mais une certaine sécheresse ; peu de religion, une philosophie froide et raisonneuse ; dépensière et magnifique, et en cela seulement entraînée par la passion plus que la raison, mais la passion de la grandeur plus que de la jouissance ; au résumé, une femme de haut mérite, mais non pas égalé à sa mère, car celle-ci a poussé jusqu’au génie les qualités propres à la femme et a pu les répandre en abondance dans une œuvre de femme, tandis que Mme de Grignan, pour donner sa mesure, aurait dû avoir un plus vaste théâtre et être appelée, comme Mme de Maintenon ou la princesse des Ursins, au maniement des grandes affaires, au gouvernement d’un état. C’est probablement la disproportion de ses facultés et de son rôle qui la troublait et l’attristait. La