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son principe, comme une victoire promptement régularisée sur une tentative d’absolutisme, sur ce qui n’était après tout qu’un coup d’état du bon plaisir. Son originalité historique et morale est d’avoir représenté, à un moment du siècle, une grande transaction entre le droit traditionnel, qui s’était compromis, et les idées nouvelles, les intérêts nouveaux créés par la révolution française, d’avoir été une monarchie sans les réminiscences et les tentations d’ancien régime, un régime libéral sans les convulsions d’anarchie. En réalité, après tant d’années et de révolutions successives, fertiles en mécomptes, à voir les choses de haut, ces deux monarchies, celle qui va de 1815 à 1830 et celle qui va de 1836 à 1848, ne sont, avec des caractères différens, que les deux phases d’une même expérience publique. Elles forment comme une suite à peine interrompue de trente-quatre années de liberté régulière et de progrès incessans. Elles représentent pour la France le plus sérieux, le plus généreux essai de gouvernement parlementaire par l’intervention croissante du pays dans ses affaires, par l’expansion graduée de tous les droits, par l’épanouissement de la sève nationale, par l’éclat des talens. La première, sortie d’une effroyable crise, d’une invasion, avait en quelques années ravivé les forces de la France ; la seconde, par une politique à la fois libérale et pacifique, avait singulièrement étendu l’influence française, et le jour où elle a disparu, elle n’a, pour sûr, laissé le pays ni amoindri dans ses frontières, ni obéré dans ses finances, ni affaibli ou compromis par les aventures, ni atteint dans ses ressources et dans ses libertés. Ces trente-quatre années sont, après tout, la plus honnête, la plus rassurante période de l’histoire de ce siècle.

Que ces deux monarchies aient eu leurs faiblesses tenant à elles-mêmes ou aux circonstances., il faut bien le croire, puisqu’elles ont péri avec toutes les raisons de vivre honorablement et utilement. Que depuis l’époque où elles existaient les événemens aient marché et que la politique suive incessamment les transformations des idées, des mœurs et des institutions, c’est la loi éternelle des choses. Chaque période, chaque situation a sa politique. On ne s’immobilise pas dans le passé, c’est une vérité banale ; mais s’il est un fait curieux, bizarre, c’est que des hommes du jour, et il s’en trouvait récemment, en soient encore à leurs vieilles iniquités et à leurs déclamations surannées de parti contre ces grands gouvernemens qui ont régné sur la France. Ils pardonneraient peut-être un peu à la restauration parce qu’elle est plus loin ; la monarchie de juillet est pour eux le grand ennemi ! Ils prennent bien leur temps, et ils exposent la république telle qu’ils la font à d’étranges rapprochemens. Autrefois il y avait un tel sentiment de la liberté et du droit qu’un simple conseil de guerre établi en pleine insurrection tombait devant un arrêt de la cour de cassation, et