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son assurance, met dans sa diplomatie plus de liberté et de sans-façon que d’expérience. Il manie lestement les intérêts internationaux et il a des expédiens, même une langue diplomatique à son usage. Il a imaginé récemment pour la circonstance la théorie des engagemens tacites et des adhésions silencieuses ; il découvre et il applique aujourd’hui un système nouveau, l’art de négocier par le canon, la politique des gages et des garanties ou des représailles, qui n’est point la guerre quoiqu’elle se manifeste par la guerre. Comme il est en Chine, il se passe toutes les fantaisies. Avec ces procédés, on peut aller loin, on s’accoutume à jouer avec toutes les règles aussi bien qu’avec les traditions d’un pays ; on agite tout, on confond tout pour unir par se réveiller, un jour ou l’autre, en face de quelque grosse affaire dont on n’entrevoit ni les proportions ni les conséquences. C’est justement ce qui arrive avec cette question chinoise.

Et maintenant que tout cela est engagé, que le drapeau est au feu, que nos marins et nos soldats sont déjà à l’action pour l’honneur et les intérêts de la France, il ne reste plus qu’à se tirer le mieux possible de cette campagne nouvelle, de cette aventure lointaine. Il n’y a plus qu’à poursuivre ce qu’on a commencé en profitant au moins de l’expérience qu’on a pu acquérir depuis quelque temps, en s’arrêtant à un dessein précis, en évitant de dépasser les limites au-delà desquelles il n’y aurait que confusion et hasard. La pire des politiques serait de se laisser aller à la merci des incidens et des tentations sans savoir jusqu’où l’on veut aller, sans rien prévoir, sans avoir mesuré d’avance les diverses éventualités en face desquelles on peut se trouver. Il se peut sans doute que la Chine, à bout de subterfuges, atteinte par les premières opérations de nos escadres, cède à l’impérieuse nécessité des choses, qu’elle reconnaisse l’inutilité d’une lutte inégale, qu’elle s’aperçoive enfin qu’elle a déjà perdu par le feu de nos canons plus qu’elle n’aurait été obligée de payer en indemnités ; c’est possible, c’est encore la plus favorable chance. Il se peut aussi que la cour de Pékin, soit par un vieil orgueil, soit par le secret espoir de trouver un appui parmi les puissances étrangères, déclare elle-même à la France la guerre qui ne lui a point été déclarée, et que, ne pouvant défendre ses ports, elle essaie de porter les hostilités aux frontières du Tonkin, de prolonger la lutte dans ces régions : c’est là encore une éventualité possible. Si la Chine résiste, si elle veut prolonger la guerre, c’est là, à n’en pas douter, que les difficultés commencent. Notre gouvernement doit tout à la fois songer à augmenter ses forces au Tonkin et à combiner ses opérations dans les mers de Chine de façon à ménager le plus possible les intérêts étrangers dans les ports ouverts au commerce européen. Il doit s’étudier soigneusement à éviter de blesser ces intérêts, de réveiller des rivalités trop vives, de donner des prétextes de plainte à