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tardivement des forces qui se sont trouvées encore insuffisantes, qu’il a fallu successivement augmenter. On a tout essayé ; on a même fait l’expérience d’un commissaire civil, qui n’a pas tardé à disparaître. On a chargé M. l’amiral Courbet des premières opérations sérieuses dans le delta du Fleuve-Rouge, et à peine l’amiral était-il en campagne, il a été remplacé par un nouveau général qu’on a choisi pour ses opinions républicaines, qui bientôt n’a pu s’entendre ni avec ses lieutenans ni avec les chefs de la marine. Qu’est-il arrivé ? Nos soldats ont sûrement montré leur bravoure partout où ils ont eu à combattre ; à Bac-Ninh comme à Son-Tay, ils sont toujours prêts à faire face au péril ; mais l’œuvre s’est naturellement ressentie de cette incohérence de conception et de direction : elle s’est compliquée de toutes les difficultés qu’on a laissées s’accumuler, qui, après des succès militaires, sont encore loin d’être résolues.

Cette phase même où nous entrons est comme une dernière et saisissante preuve des inconsistances d’une politique plus remuante que sérieuse. Que les Chinois, dans les incidens qui ont préparé et aggravé la crise d’aujourd’hui, aient déployé toute la perfidie asiatique, qu’ils aient rusé avec nos plénipotentiaires et se soient joués de leurs engagemens, ce n’est point vraiment la question ; ce n’est pas la peine de s’ingénier à prouver que la France, blessée dans ses soldats à Lang-Son, offensée dans sa dignité, a acquis le droit de châtier la mauvaise foi chinoise, de réclamer des réparations, des indemnités et des garanties. C’est entendu. Il n’est pas moins assez apparent que si on a été trompé, c’est qu’on s’y est prêté, comme cela a été justement dit, qu’on est allé bien légèrement au-devant de ces complications nouvelles, et que cette situation aiguë qui a été créée, d’où il faut maintenant se tirer, est née assez directement d’un certain nombre d’imprudences militaires et diplomatiques qui auraient pu être évitées. Évidemment M. le général Millot a un peu agi comme un sous-lieutenant improvisé commandant de corps ; il n’a pas montré la prudence et le coup d’œil d’un chef d’armée en expédiant sur Lang-Son cette faible colonne qui est allée se heurter contre les forces chinoises. Une fois engagé, le chef de colonne s’est tiré d’embarras comme il l’a pu ; il ne s’est arrêté que devant l’impossibilité d’aller plus loin et en tenant tête à l’ennemi. Ce n’est point sa faute ; la faute est tout entière au commandant en chef, qui devait savoir ce qui se passait à Lang-Son, connaître l’importance des forces chinoises, et qui, dans tous les cas » devait envoyer une colonne suffisante pour se faire respecter, pour remplir sa mission jusqu’au bout, pour n’avoir pas à subir cette mésaventure d’une retraite devant des Chinois. Quelque valeur qu’il pût attacher au traité de Tien-Tsin qui venait de lui être notifié et à l’abri duquel il était censé exécuter son opération, il n’était pas moins tenu de prendre