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de son livre n’atteignit pas uniquement en lui le théologien mystique, mais elle frappa surtout l’homme de cour, l’ambitieux, j’oserai presque dire le chef de parti. Or de semblables disgrâces, bien loin d’éteindre l’ambition, même dans le cœur d’un chrétien plus parfait encore que Fénelon, l’avivent au contraire, l’irritent, l’exaspèrent, et surtout quand du fond de l’exil on peut compter toujours, comme l’archevêque de Cambrai, sur l’appui de l’héritier d’un trône. Lorsqu’il fut donc bien convaincu que, du vivant au moins de Louis XIV, il ne reparaîtrait pas à la cour, Fénelon n’abdiqua point du tout pour cela les vastes ambitions qu’il avait si longtemps nourries. Mais il reporta sur le duc de Bourgogne l’espoir qu’il avait mis d’abord en Mme de Maintenon, et non seulement il ne renonça point à ses rêves de pouvoir, mais c’est précisément en ce temps-là qu’il essaya de leur donner le corps qui leur manquait. Sa Correspondance avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers n’est certainement pas d’un chrétien qui s’efforce de mourir aux ambitions mondaines, et encore moins sa Correspondance avec le duc de Bourgogne. Ou plutôt, si je ne me trompe, à mesure que les années s’accumulent sur la tête de Louis XIV, et que des événemens aussi peu prévus que la mort du dauphin approchent du trône son « cher petit prince, » je crois voir cette ambition grandir de jour en jour, et comme allumer son sang d’une telle fièvre qu’il mourra véritablement de la mort du duc de Bourgogne.

Si M. Emmanuel de Broglie avait songé d’abord à nous parler de l’élève plutôt que du maître, et de l’héritier du trône de Louis XIV autant que de l’archevêque de /Cambrai, je n’en serais pas trop étonné. C’est le duc de Bourgogne qui semblerait du moins l’avoir en quelque sorte induit à s’occuper de Fénelon, c’est sur les rapports du royal enfant avec son précepteur qu’il s’est étendu le plus longuement, et c’est peut-être ici qu’il est arrivé aux résultats les moins contestables et en même temps les plus neufs. Non pas que nous soyons de ceux qui croient, avec un peu d’imagination et beaucoup de complaisance, que la fin prématurée du duc de Bourgogne a privé la France d’un grand règne. Si Fénelon avait discipliné le prodigieux orgueil et dompté les folles colères de son élève, ce n’avait pas été sans étrangement énerver en lui les ressorts du caractère et de la volonté. Qui donc a dit que l’archevêque de Cambrai, dans sa correspondance, semblait uniquement travailler à défaire ce qu’avait fait le précepteur du duc de Bourgogne ? Mais ce que M. Emmanuel de Broglie a victorieusement réfuté, c’est cette accusation de chimérique si souvent reproduite contre Fénelon depuis La Beaumelle et Voltaire. Admettant, en effet, que le mot soit plus d’à moitié vrai de l’auteur de Télémaque, il ne l’est pas du tout de l’auteur des Mémoires politiques sur la succession d’Espagne, et il ne l’est pas non plus de l’auteur des Tables de