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fallut du moins, comme nous le dirons tout à l’heure, dès raisons peut-être encore plus politiques au fond que religieuses. « Feu M. de Meaux a combattu mon livre par prévention pour une doctrine pernicieuse et insoutenable, écrivait-il encore en 1710 (onze ans par conséquent après sa prétendue soumission) ; on a toléré et laissé triompher cette indigne doctrine… Celui qui errait a prévalu, celui qui était exempt d’erreur a été écrasé. Dieu soit béni ! » Je ne me rappelle pas avoir lu ce passage dans le livre de M. Emmanuel de Broglie. N’a-t-il pas cependant son importance ? Ne jette-t-il pas une vive lumière sur le caractère de Fénelon ? N’appartient-il pas à l’histoire des sentimens de l’archevêque de Cambrai ? Et pour aussi longtemps que l’on n’en aura pas démontré l’inauthenticité, pourra-t-on bien parler, sans quelque abus de langage, de la soumission de Fénelon ?

Autre observation. Si considérables en elles-mêmes et de quelque conséquence que fussent les questions de doctrine engagées dans une controverse où Bossuet pouvait dire « qu’il y allait de toute la religion, » d’autres questions, d’un tout autre ordre, et d’une bien autre importance aux yeux d’un prince tel qu’était Louis XIV, s’y trouvèrent promptement mêlées. On le savait à Versailles, et on ne l’ignorait point à Rome. « Je vous assure, écrivait de Versailles la princesse palatine, que toute cette querelle d’évêques n’a trait à rien moins qu’à la foi : tout cela est ambition pure. » Et, à Rome, le cardinal Spada ne voulait voir dans toute l’affaire « qu’une pointillé ou brouillerie de cour entre des gens qui se faisaient envie les uns aux autres. » On nous répète constamment que nos pères prenaient aux disputes théologiques un intérêt dont nous nous sommes singulièrement déshabitués ; et je n’y contredis point. Mais c’est que ces disputes théologiques, — protestans contre catholiques, jansénistes contre jésuites, gallicans contre ultramontains, — recouvraient, en quelque sorte, et masquaient des rivalités de pouvoir ou, comme nous dirions aujourd’hui, de vraies querelles politiques. Louis XIV atteignait alors la soixantaine, il était plus vieux que son âge, Mme de Maintenon commençait à le gouverner : il s’agissait de savoir qui des deux, jansénistes et gallicans d’une part, ou, de l’autre, ultramontains et jésuites, gouverneraient Mme de Maintenon. Et c’est ce qui explique la vivacité d’intérêt passionné que toute la cour, pendant plusieurs années, et l’on pourrait dire toute la France, avec une partie de l’Europe, prirent à ce grand débat. En même temps qu’un grand débat, c’était aussi une grande intrigue ; et puisque cette intrigue a occupé presque uniquement les trois ou quatre premières années de l’épiscopat de Fénelon, n’eût-il pas été bon d’en parler avec quelque détail ?

Ce qu’il importe, en effet, de bien voir et de bien savoir, pour la claire intelligence du caractère de Fénelon, c’est que la condamnation