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vil » l’or le plus pur, comme le contact le plus délicat suffit à flétrir les ailes diaprées des papillons. On devine les ravages que porteront dans l’harmonie primitive le timbra et la cadence d’une langue différente.


Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel en un moment conçu,


dit Arvers dans un sonnet justement célèbre. Longfellow traduit mot pour mot :


My soul its secret hath, my life too hath its mystery,
A love eternal in a moment’s space conceived.


C’est absolument le même sens, et ce n’est plus cela du tout. A la sonorité voilée, discrète comme un son grave de flûte, au balancement régulier des brèves et des longues, a succédé une harmonie d’un caractère saccadé, sifflant, qui cesse d’être en rapport exact avec le sentiment général du morceau.

De même, quand Rossi, jouant Hamlet aux Italiens, disait, dans la plénitude caressante de sa voix méridionale :


Essere o non essere, ecco il problema,


Malgré tout le talent de l’artiste, l’impression était toute différente de celle du fameux


To be or not to be, that is the question,


si rapide, si concentré, si en dedans, de Shakspeare.

Mais où la tâche devient tout à fait ardue, c’est quand on entreprend de traduire une œuvre d’un art dans un autre. La poésie, la musique, la peinture, la sculpture, ont chacune leur vocabulaire, et, suivant une très juste expression de Sully-Prudhomme, leur verbe particulier, correspondant à un mode distinct, à une allure différente de la pensée humaine, régi par une grammaire et une syntaxe spéciales.

Quoi qu’en ait dit Horace, rien ne ressemble moins à la poésie que la peinture. Dans la première, en effet, l’auteur se borne à indiquer, pour chaque objet décrit, un trait saillant qu’il exagère presque toujours, et d’après lequel l’imagination surexcitée du lecteur doit, tant bien que mal, se figurer l’ensemble. La peinture, au contraire, est tenue de donner avec précision le tout de chaque chose, de respecter, au moins dans leurs règles fondamentales, les principes qui régissent la combinaison des formes et des couleurs. Il n’en coûte rien au poète