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Dans le cas où vous adopterez l’ordre concave, il sera parfaitement inutile de courber longtemps à l’avance la phalange : ce serait inviter l’ennemi à prendre ses dispositions en conséquence. L’ennemi rangerait probablement alors ses meilleurs vaisseaux aux extrémités de sa ligne, se partagerait peut-être en deux groupes dont l’un contiendrait nos ailes, pendant que l’autre se jetterait de toute sa vitesse sur l’intérieur du croissant. Il ne serait même pas impossible qu’il adoptât, pour répondre à notre ordre concave, l’ordre convexe. Dans cet ordre, les plus gros vaisseaux sont postés au centre, les plus faibles aux ailes. L’ennemi, refusant ses ailes, se trouverait en mesure d’enfoncer notre centre avec ses gros vaisseaux. Il ne faut donc pas lui laisser le temps de modifier sa formation et voilà pourquoi il est essentiel de lui dissimuler jusqu’au dernier moment nos projets. Que le centre suspende tout à coup sa marche, pendant que les ailes continuent à se porter en avant, chaque vaisseau diminuant, progressivement et suivant le poste qu’il occupe, de vitesse, le croissant se trouvera tout naturellement formé.

Le moment d’engager le combat venu, les uns sont d’avis que la flotte se porte en avant d’un mouvement rapide ; ils voient dans cet élan un moyen assuré de donner du cœur aux équipages ; d’autres pensent qu’il vaut mieux conserver une marche lente et régulière. Le meilleur parti à prendre dépendra des dispositions que montreront les matelots. S’ils paraissent hésitans, intimidés, il faut les précipiter tête baissée sur l’ennemi, afin de les enlever à leurs réflexions ; si, au contraire, on les voit exaltés, ardens à l’attaque, il convient de contenir leur furie et de les obliger par une allure mesurée à ne pas rompre l’ordonnance de la flotte. De toute façon, l’assaut doit être donné à toute vogue et avec de grands cris. Si l’on possède un plus grand nombre de vaisseaux que l’ennemi, on aura soin de placer en arrière du centre le surplus de sa flotte, constituant ainsi une réserve qui puisse soutenir à propos les vaisseaux engagés et rétablir le combat sur les points où notre ligne paraîtrait faiblir. »

Nous avions déjà les galéasses de Lépante ; voici maintenant la réserve du marquis de Santa-Cruz ; notre auteur byzantin parle en vrai sergent de bataille : l’archevêque de Sourdis aurait pu lui offrir la survivance du capitaine de Caën.

Maintenant, quel terrain faudra-t-il choisir pour combattre ? « Sur la côte ennemie, évitons la proximité du rivage, efforçons-nous d’attirer autant que possible notre adversaire en haute mer ; sur nos côtes, au contraire, rapprochons-nous de terre. Si nous sommes battus, il nous restera du moins un dernier refuge ; nous aurons,