avaient, dès les débuts de la marine de guerre à hélice, élaboré un admirable code de signaux et d’évolutions. Tous les changemens de route, tous les ploiemens et déploiemens de colonnes s’exécutaient dans cet ingénieux système avec une précision vraiment mathématique. Non moins régulières, non moins uniformes dans leur marche qu’une horloge sortie des mainS de Winnerl ou de Bréguet, les machines continuaient, quelle que fût la manœuvre à exécuter, de battre le même nombre de coups de piston. Jamais d’altération de vitesse, tel était le principe. Le mécanicien n’avait pas à s’inquiéter de ce qui se passait là-haut ; il était convenu que, sous aucun prétexte, les valves d’admission de la vapeur n’auraient à s’ouvrir ou à se fermer ; les chauffeurs pouvaient jeter de côté leurs ringards ; les machines ne devaient, dans le cours du mouvement prescrit, ni accélérer, ni ralentir leur allure.
Le tacticien prenait pour base ce régime invariable et obtenait les modifications de route ou de formation voulues par une série de mouvemens à angle droit et de contremarches. Les vaisseaux n’étaient plus que des fantassins ; un colonel les aurait fait mouvoir. Par le flanc droit ! Par file à gauche ! Par le flanc droit ! encore ; il n’en fallait pas davantage pour passer d’une ligne de bataille ou de front, marchant déployée vers le nord, à une ligne de bataille faisant route à l’est. Pour se développer ainsi à loisir, il faut évidemment avoir de l’espace et du temps devant soi, mais on conçoit aisément quelle régularité de semblables manœuvres maintiendront dans l’ordonnance et la navigation d’une armée nombreuse.
L’amiral Bouët fut le premier à renoncer à l’application de son système quand il commanda une escadre composée de six bâtimens cuirassés. Il reconnut l’inconvénient d’offrir, pendant une partie des évolutions, le flanc de ses vaisseaux, faits pour combattre de pointe, à l’éperon ennemi. Prompt à se décider, il proposa sur l’heure de substituer, pour tout changement de route ou de formation, les mouvemens obliques aux mouvemens quadrangulaires. C’était, en réalité, revenir aux principes que j’avais toujours préconisés : les vaisseaux n’évoluaient plus ; ils chassaient leur poste, Chasser son poste, c’est, ainsi que je le définissais déjà en 1858, se rendre au poste qu’on doit occuper dans l’ordonnance nouvelle par le chemin le plus court, si la chose est possible ; avant tout, par le chemin le plus sûr. Tout danger de collision est conjuré du moment qu’on observe strictement, — religieusement, devrais-je dire, — les règles internationales destinées à prévenir, en cas de rencontre imprévue, les abordages. Longtemps combattues parmi nous, accueillies, au contraire, avec une faveur marquée en Angleterre et aux États-Unis, ces idées, dépourvues d’artifice, ne sont pas loin,