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II

C’est surtout en marine que l’on peut vraiment dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Ouvrez le livre du père Fournier, aumônier du vaillant archevêque de Sourdis dans la campagne de 1642, et auteur fort apprécié en son temps de l’Hydrographie de la mer[1] ; essayez ensuite de déchiffrer les feuillets incomplets du manuscrit byzantin que vient de découvrir l’infatigable érudition du docteur Charles Muller et de traduire pour la première fois en langue moderne un savant professeur de Livourne, le chevalier Francesco Corazzini[2], vous retrouverez dans les deux ouvrages les mêmes idées, bien souvent exprimées d’une façon identique. Le manuscrit de Milan date cependant, — tout le fait présumer, — du Ve ou du VIe siècle de notre ère. « La charge du pilote, nous dit le père Fournier, est de donner la route et d’éviter les écueils… Il est toujours le second officier, pour l’honneur des sciences qu’il professe… Dans un bon vaisseau il faut deux pilotes, outre celui de la route, qui doit connaître parfaitement le ciel et bien faire les observations… Si, par faute du pilote un vaisseau du roi périt, le pilote est infailliblement pendu. » « Il est absolument nécessaire, proclame de son côté l’écrivain grec, dont le nom ne nous est malheureusement pas parvenu, que le stratège ait à ses côtés un homme bien au courant des mers dans lesquelles la flotte navigue, ou vers lesquelles on suppose qu’elle pourra se diriger. Cet homme doit connaître les vents qui soulèvent la mer du large et ceux qui soufflent généralement de terre, les écueils, les brisans, la configuration des côtes, les îles qui les avoisinent, les ports et les distances comptées d’un port à l’autre, les ressources du pays, ainsi que les aiguades. Ce n’est pas seulement sur le vaisseau du stratège qu’il convient de mettre un de ces hommes pratiques ; chaque vaisseau est tenu d’avoir également son pilote, car la tempête peut disperser la flotte, et le capitaine séparé du stratège serait dans l’embarras s’il lui fallait aller chercher seul un abri. »

Ces pilotes, dont la nécessité se faisait si vivement sentir dans les bassins étroits et d’ailleurs bien connus de la Méditerranée, n’étaient encore que des pilotes côtiers ; ceux qui conduisaient, à

  1. George Fournier, prêtre de la compagnie de Jésus, né à Caen en 1595, mort à La Flèche, le 13 avril 1652, a laissé, entre autres ouvrages, un précieux in-folio intitulé ; l’Hydrographie, contenant la théorie et la pratique de toutes les parties de la navigation. Paris, 1643.
  2. Scritto sulta tactica navale di anonimo Greco, per la prima volta tradotto e pubblicato dal Cav. Prof. F. Corazzini. In Livorno, 1883.