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tactique navale retrouvé par le docteur Charles Muller dans la bibliothèque Ambroisienne de Milan[1], montent à bord les derniers quand l’équipage s’embarque ; ils sont en tête quand on descend à terre. »

« Il importe, ajoute l’auteur du précieux manuscrit auquel nous aurons plus d’une fois recours, de débarquer toujours en bon ordre et de façon à pouvoir se former rapidement en phalange. Anankéon aftous apovantas tôn pliôn kataper en phalangi syntetachthé[2]. » Licinius manda sur-le-champ à son aide Martinien, son principal lieutenant, qu’il avait laissé à Lampsaque, harangua ses troupes et leur promit de les conduire à l’ennemi en personne. Il y eut, au rapport de Zosime, un rude combat livré, en l’année 324 de notre ère, entre Chalcédoine et le promontoire Sacré. J’ai visité ces lieux et je sais qu’entre Kadikeui et l’éminence qui porte encore les ruines d’un vieux château génois, il existe en effet un superbe champ de bataille, terrain accidenté qui se prête admirablement aux manœuvres d’une bonne infanterie. Gibbon, d’après l’autorité d’Eusèbe, reporte plus à l’ouest le lieu de l’action ; la bataille décisive se donna, suivant lui, sur les hauteurs de Chrysopolis, aujourd’hui Scutari. Que ce soit le comte du Ve siècle ou l’évêque du ive qui, en cette affaire, ait raison, il n’en reste pas moins établi que l’armée de Constantin, composée en majeure partie de vieux soldats des Gaules, remporta, sur les troupes moins aguerries de son adversaire un éclatant avantage. De cent trente mille hommes que Licinius venait de mettre en ligne, trente mille à peine échappèrent au fer de l’ennemi. Les habitans de Byzance tenaient encore pour Licinius : après une telle victoire, il ne leur restait plus qu’à ouvrir leurs portes au vainqueur. Constantin entra dans Byzance et en fit, dès ce jour, la capitale du monde. La ville aux sept collines était découronnée ; l’empire latin faisait place à un empire grec : il ne faut pas s’étonner que cet empire nouveau soit redevenu un empire marin.

  1. Eine griechische Schrift über Seekrieg zum ersten male herausgegeben und untersucht, von Dr  K. K. Muller. Würtzburg, 1882.
  2. Ἀναγϰαῖον αὐτοὺς ἀποϐάντας τῶν πλοίων ϰαθάπερ ἐν φάλαγγι συντετάχθαι « Chez les Grecs modernes, dit Burnouf, αι se prononce é, οι et ει se prononcent ι. La lecture, et surtout celle des vers, en est bien plus douce. Pour ἀφαρεῖται, ils disent aphérité et nous aphaïreïtaï. Quelle différence ! » Si nous voulons, — c’est une remarque que j’oserai me permettre, après celle de Burnouf, — continuer de prononcer le grec à la française, de quel droit reprocherions-nous, aux Anglais de prononcer à l’anglaise le latin ? Et pourtant ! Nos érudits, pour lesquels l’assyrien et les caractères hiéroglyphiques n’ont plus de mystères, vont-ils deviner du premier coup cette énigme : Rem hékiou tetidjaï ? Goûteront-ils le sel de cette dépêche humoristique de lord Napier, annonçant d’un seul mot à ses compatriotes la conquête du Sind : Pekkévaï ?