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Constantinople et Ravenne. La mer baignait alors les remparts de l’une et de l’autre ville ; dans leurs plus mauvais jours, la mer les préserva d’un investissement complet. Sans cette ceinture, qu’on ne saurait trop bénir, la civilisation aurait manqué d’asile contre l’épée des barbares ; l’œuvre des siècles, une fois le flot passé, eût été à reprendre jusque dans ses fondemens. Nous devons donc quelque reconnaissance aux flottes du Bas-Empire, bien que ces flottes aient, comme les honnêtes femmes, très peu fait parler d’elles.

La marine, qui compta dans ses rangs la tessaracontère de Ptolémée, s’est évanouie à la bataille d’Actium[1] ; ni Constantin, ni Théodose, ni l’empereur Léon ne la feront revivre : ils se contenteront d’armer des triacontères, des liburnes, des dromons, si même ces galères ne leur paraissent encore trop lourdes. L’ère des flottilles est alors dans son plein ; c’est avec une flottille déjà que Septime Sévère s’emparait de Byzance ; avec une flottille aussi que Constantin va faire la guerre à Licinius. Les gros vaisseaux, cependant, ne lui manquaient pas : il se souvint à temps que la flotte de son adversaire avait péri en partie sur les côtes de l’Hellespont parce qu’elle se composait de navires peu maniables. Cent trente vaisseaux, poussés par le vent du midi, allèrent, sans que tous les efforts de la chiourme réussissent à les écarter du rivage, se briser sur les roches, et cinq mille hommes trouvèrent, en cette occasion, la mort dans les flots. Fort affaibli par un si grand désastre, Licinius s’était retiré à Chalcédoine ; Constantin se disposa sur-le-champ à l’y attaquer, il se garda bien cependant d’exposer ses pesans transports et ses quinquérèmes aux surprises que pouvait leur réserver la côte de Bithynie : il fit construire à la hâte des bâtimens plus légers et y embarqua ses troupes. A vingt milles de Chalcédoine, cité considérable sur l’emplacement de laquelle est bâti aujourd’hui le village de Kadikeui, se projette en mer, formant un des côtés du Bosphore de Thrace, à l’endroit où ce canal débouche dans le Pont-Euxin, un promontoire qu’au temps des Romains et des Grecs on appelait le promontoire Sacré : l’armée de Constantin, insouciante désormais des échouages, y prit terre. Elle n’eut qu’à sauter sur la plage pour se trouver, sans désordre, sans manœuvres, rangée du même coup en bataille. Les anciens nous auraient donné des leçons pour l’exécution de ce mouvement difficile : tout les y préparait, des exercices constans et une habitude journalière. « Les matelots de la proue, les proyers προρᾶται (proratai), dit un vieux traité de

  1. Voyez, dans la Revue du 1er décembre 1882, les Grands Combats de mer. — La Bataille d’Actium.