Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment ce doux rêveur, incliné par les malheurs publics et par ses longues adversités personnelles au mysticisme des alexandrins, eût-il pu ranimer des passions étroites et farouches qu’il ne partageait pas ? Sa nature répugnait aux brutales manifestations de la force, sa conduite et ses mœurs étaient une protestation constante contre l’injustice des temps qu’il voulait faire renaître. S’il ne fut pas chrétien, Julien, à tous les titres, se montra digne de l’être. Aussi devons-nous regretter qu’il ait usé ses forces et ses facultés admirables à une œuvre qui ressemble de loin à une fantaisie d’archéologue. On ne réagit pas contre les grands mouvemens de l’esprit humain.

Voici donc l’empire byzantin fondé. Cet empire, avouons-le, a de tristes annales. La ligue achéenne, la Rome des derniers Césars, gardaient encore, comme les vieillards d’Homère, je ne sais quoi d’auguste et d’imposant qui les faisait respecter dans leur décrépitude ; ici ce ne sont pas des vieillards, ce sont de vieux enfans que nous voyons prolonger, par mille artifices, une existence précaire et sans dignité. J’ai souvent failli céder à la tentation de passer sous silence la longue et obscure période qui s’étend du règne de Probus au règne d’Alexis Comnène, c’est-à-dire de l’année 282 à l’année 1081 de notre ère. Si j’ai courageusement repoussé les insinuations, les objurgations même de mes meilleurs amis, me pressant d’enjamber au moins quelques siècles pour attaquer enfin des sujets plus modernes, c’est qu’il m’a semblé sage de ne pas perdre le fil des traditions que je m’appliquais à recueillir. Tantum series juncturaque pollet ! disaient les anciens : « Il y a tant de force et de puissance dans l’enchaînement des faits ! » Je ne voudrais pas, après quarante ans de labeur, encourir le reproche de m’être laissé, presque au moment de toucher le but, envahir par la défaillance. Une brèche de huit siècles ne saurait passer inaperçue dans une histoire qui, suivant l’antique et louable coutume de nos pères, n’a pas craint de prendre son point de départ au déluge.

La lacune ici serait doublement sensible, car le rôle de la marine n’a certes pas été sans importance à une époque où les armées avaient tant de peine à défendre un territoire envahi de toutes parts. « Dans ces temps fâcheux, a remarqué avant nous Boismélé, les empereurs ne se soutenaient que par la navigation : aussi avaient-ils soin d’entretenir toujours un grand nombre de vaisseaux qui leur servaient à transporter des troupes et des vivres dans les endroits où il était nécessaire. »

L’empire romain, lorsqu’il eut été partagé entre les deux fils de Théodose, n’exista plus en réalité que par ses deux capitales :