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Ce but n’est pas aussi facile à atteindre par des procédés mathématiques que le croient les partisans de la « représentation proportionnelle. » De plus, une représentation théoriquement exacte des minorités pourrait offrir, dans la situation actuelle, des dangers pratiques, méconnus par les adeptes de Stuart Mill et de Hare. Pour que la représentation proportionnelle soit applicable, il faut, selon nous, qu’il n’existe guère dans un pays que des partis constitutionnels. Mais, en France, nous venons de le voir, la lutte est presque toujours entre ceux qui admettent la constitution et ceux qui veulent la renverser. Or, il faut avoir soin de ne pas organiser dans l’état la division même des partis, de ne pas élever ces partis au rang de membres constitutifs dans le grand corps social. En outre, le groupement volontaire des individus à travers tout le pays, proposé par Hare, pourrait favoriser non-seulement l’organisation des partis, mais celle des classes et des intérêts de classe. Enfin, la séparation du pouvoir de délibération et du pouvoir de décision est nécessairement quelque peu arbitraire dans l’état actuel de nos institutions, car c’est la même assemblée qui délibère et décide, soit sur une loi à établir, soit sur un ministère à renverser, soit même sur une constitution à réviser. Si donc vous reproduisez trop exactement dans l’assemblée les divisions mêmes d’opinions qui mettent les citoyens en lutte les uns avec les autres, si vous envoyez aux assemblées les représentans des théories les plus inconciliables, vous érigez la guerre, et une guerre aiguë, à l’état constitutionnel. Il en résulte l’impossibilité d’une politique suivie, une ligue continuelle des minorités aboutissant à déplacer les majorités, à renverser tous les ministères, à rendre tout gouvernement impuissant et éphémère. Un parlement n’est pas un conseil purement consultatif, une sorte d’académie où toutes les opinions se font entendre par amour platonique de la vérité ; au contraire, tout y tend à l’action et aboutit à l’exécution. De là l’antithèse du pouvoir simplement délibératif et du pouvoir exécutif. Ceux qui ne voient que le premier ne conçoivent d’autre idéal que la représentation proportionnelle des opinions, même des plus extrêmes ; ceux qui ne voient que le second ont pour idéal la formation d’une majorité de gouvernement, à l’exclusion des extrêmes. En France, il faut bien reconnaître que les nécessités de la situation actuelle sont de former une majorité de gouvernement, et c’est pour cela que le scrutin de liste serait désirable. Le scrutin de liste pourrait soustraire les députés aux influences locales, et, par cela même, soustraire les ministres à la tyrannie de ces mêmes influences. Ce n’en est pas moins un expédient et une arme de guerre, non un procédé de paix ; mais à qui la faute, sinon à la commune obstination des