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parfois cruel. « La plupart des tyrans, et les plus détestables, appartiennent par le caractère au vieil âge. »

Tout en reconnaissant la parade vérité que contient cette psychologie des partis, il ne faudrait pas croire que chaque âge fût rigoureusement voué à l’un des caractères dont vous venons de faire l’esquisse : il s’agit seulement de tendances générales et de moyennes, qui n’excluent pas les différences individuelles. « Alcibiade, dit lui-même M. Bluntschli, était encore un adolescent à l’âge d’homme ; Auguste adolescent était un vieillard ; Périclès garda sa jeunesse jusqu’au tombeau ; Scipion fut toute sa vie un homme. » De même, les partis politiques renferment des hommes de tous les âges : il y a de vieux radicaux et de jeunes absolutistes. Pourtant il est certain qu’une analogie générale existe entre l’action successive des âges dans le développement de l’individu et l’action simultanée des partis dans l’évolution politique. Le progrès sera régulier et se conciliera avec une juste conservation des résultats acquis, si la représentation nationale se compose de deux grands partis libéraux, l’un progressiste et l’autre conservateur, avec quelques élémens de radicalisme contre-balancés par un reste inévitable d’absolutisme. Ces deux extrêmes iront se restreignant peu à peu au profit des tendances modérées et libérales. Le suffrage doit être organisé de façon à préparer ce résultat. En France, malheureusement, les partis politiques sont loin de réaliser l’idéal de Rohmer et de M. Bluntschli. Nous avons des radicaux et des absolutistes ; mais les radicaux sont trop souvent révolutionnaires, et les absolutistes le sont aussi à leur façon, puisqu’ils ne sont que les partisans des dynasties tombées et que leur but est le renversement de la constitution. Nous avons des libéraux progressistes, mais nous n’avons guère de libéraux conservateurs. On l’a remarqué avec raison, quiconque n’est pas dans le camp des radicaux et des progressistes passe, presque sans transition, dans celui des absolutistes : il semble difficile, en France, d’être conservateur sans se mettre à la remorque d’intérêts religieux ou dynastiques et sans devenir par cela même rétrograde. Nous n’avons donc point de vraies tories, ou, s’il en existe, ils ne sont encore qu’à l’état latent. Le sénat cependant ne tardera pas à offrir une certaine organisation du libéralisme conservateur ; il serait à désirer que, dans la chambre des députés, les partis modérés et libéraux l’emportassent de plus en plus sur les partis extrêmes et violens, auxquels le système actuel assure trop souvent la victoire en décourageant les opinions moyennes. Accorder le droit de délibération à tous les partis constitutionnels proportionnellement à leur force et assurer le droit de décision au libéralisme progressiste, avec le contrepoids du libéralisme conservateur, tel est le but que doit poursuivre la démocratie.