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grande qualité libérale. » Les radicaux ne sont encore que des écoliers épris d’un système ; « mais, si l’école systématise, la politique créatrice organise. » Le libéral aime la liberté par-dessus tout : « pour lui, être libre, c’est vivre ; » mais il se méfie des libertés octroyées ou improvisées ; il n’a foi que dans la liberté innée ou conquise par le travail et l’effort. Le progrès, voilà son but. « L’humanité civilisée est sortie de l’adolescence depuis environ deux siècles ; le fond de son caractère est actuellement libéral et progressiste. »

Le conservateur libéral, c’est l’homme de quarante à cinquante ans environ, moins occupé d’acquérir des biens nouveaux que d’améliorer et d’étendre ceux qu’il possède. Le type conservateur a toutes les préférences de M. Bluntschli, et nous ne savons pourquoi, puisqu’il dit lui-même : « Produire et conserver sont les deux pôles du gouvernement du monde. » Conserver n’a pas plus d’importance que produire et même, dans une nation qui progresse, la fécondité créatrice doit avoir un certain surplus en sa faveur. Quoi qu’il en soit, M. Bluntschli reconnaît au libéralisme conservateur moins de génie, mais plus de prudence qu’au libéralisme progressiste. Le conservateur est moins facilement enthousiaste, non qu’il méprise les idées, mais parce qu’il voit mieux les difficultés de leur réalisation. Si le progressiste aime surtout la liberté, le conservateur aime surtout le droit, « qui donne force et stabilité aux rapports reconnus nécessaires. » De plus, il s’attache surtout au « droit historique, » dont il maintient jusqu’à la forme traditionnelle. L’histoire est la gardienne des choses passées, et la vie de l’homme mûr est déjà presque une histoire : aussi est-il plus apte à comprendre celle des autres. Il veut que le mouvement vers l’avenir respecte les droits du passé. Aussi est-il peu agressif, et sa force est surtout la défensive. Il a sa place naturelle après une révolution ou une transformation profonde, alors qu’il s’agit de garder les conquêtes faites et de les préserver d’abus nouveaux. « Les grands législateurs sont souvent des progressistes ; les grands jurisconsultes sont pour la plupart des conservateurs. »

L’absolutisme réactionnaire correspond à la vieillesse. La vie descend et s’approche de la fin ; « les élémens passifs redeviennent prépondérant. » Tyrannie, irritabilité, finesse, esprit de combinaison et de calcul, esprit positif, c’est l’image du parti absolutiste. Le vieillard est parfois « un virtuose dans les affaires de finances » : nombre de banquiers et de financiers ont été vieux toute leur vie. L’amour du repos, le besoin de s’endormir se montrent surtout à la suite des révolutions ou des guerres pénibles ; l’absolutisme sait habilement profiter de ces momens. Il aime l’autorité incontestées qui semble le mieux assurer le repos. Son idéal est l’obéissance passive. Qu’on trouble sa tranquillité, il s’irrite et devient