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d’avoir liquéfié les gaz ? Sans contredit à Faraday dans le passé, et, dans le temps présent, à celui qui a construit les appareils nécessaires et qui a fait de ce sujet l’objet de ses constantes préoccupations, à M. Cailletet. Il est bien vrai qu’au dernier moment, deux hommes inconnus jusqu’alors, dont l’un avait assisté aux travaux de Cailletet et reçu ses confidences, lorsqu’il n’y avait presque plus rien à faire, se sont dépêchés d’exécuter l’expérience finale que Cailletet avait annoncée ; ils ont fait œuvre d’ouvriers habiles, mais n’ont rien inventé, et, quoiqu’ils l’aient voulu, n’ont rien enlevé à Cailletet. En France, où les mœurs scientifiques ont gardé leur sévérité, l’opinion publique a défavorablement jugé ce procédé, et je suis heureux de m’appuyer sur le témoignage de notre regretté secrétaire perpétuel, M. Dumas. Voici un extrait de la dernière lettre qu’il écrivait de Cannes, à l’un de ses confrères, au sujet d’un prix à décerner :

«… L’Académie décerne le prix Lacaze en ce moment. Elle se trouve en présence de candidats possibles, pouvant bien offrir des travaux de détail, bien faits, utiles à la science et dignes d’estime. Aucun d’eux ne sort de la ligne ordinaire.

« M. Cailletet m’a paru, au contraire, mériter ce prix comme ayant rendu le plus éminent service à la chimie générale, ou mieux encore à la philosophie naturelle, en créant l’admirable instrument au moyen duquel il a liquéfié quelques-uns des gaz les plus rebelles et rendu possible la liquéfaction de tous.

« Posée par Lavoisier, la question a été résolue par M. Cailletet, — j’allais dire par Cailletet : — L’air qui nous entoure peut être converti par le concours de la pression et du froid en un liquide comparable à l’eau.

« C’est un événement dont l’histoire de la science tiendra note ; il lie à jamais les noms de Lavoisier, de Faraday et de Cailletet. Cependant les dernières expériences effectuées à Cracovie, en fixant l’attention sur deux émules de M. Cailletet, peuvent avoir pour résultat de faire attribuer aux heureux exploitans de ses procédés un mérite qui devait être réservé à leur inventeur.

« Il y a là une question d’équité en même temps qu’un intérêt patriotique. Je voudrais que l’Académie prît la décision de proclamer le service éclatant rendu par M. Cailletet en lui décernant le prix Lacaze ; il ne faut pas laisser le monde savant dans le doute sur le véritable auteur de la découverte qui range les gaz permanens au nombre des matières communes susceptibles de prendre à volonté l’état solide, liquide ou aériforme. — Signé : DUMAS. »


J. JAMIN.