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nouvelles méthodes pour les mesurer. On ne pouvait employer le thermomètre à mercure puisqu’il gèle à — 40 degrés, ni celui qu’on fait avec l’alcool, car l’alcool se transforme en un solide blanc à — 130 degrés. Aucun liquide ne résistant, on a fait des thermomètres électriques ou à hydrogène. Comme on ne juge les choses que par comparaison, il est difficile de se faire une idée exacte de ces grands froids. D’après la nouvelle théorie, la chaleur n’est point un fluide, mais un mouvement des molécules ; plus elles ont de mouvement, plus la température est élevée, et si elles étaient au repos, elles seraient sans chaleur, au zéro absolu de température. Person avait fixé ce zéro à — 160 degrés ; d’autres considérations ont indiqué — 273 degrés. Ces évaluations ne sont pas probablement plus fondées l’une que l’autre ; il n’est pas moins curieux de faire remarquer qu’en soumettant l’hydrogène au froid de — 213 degrés par l’azote bouillant dans le vide, on n’est pas très loin de lui avoir enlevé toute sa chaleur : c’est ce que viennent de faire, il y a quelques jours seulement, MM. Wroblewski et Olszewski, non plus en commun comme autrefois quand ils partageaient la gloire du succès, mais séparément, car, désunis et brouillés, ils prennent le public à témoin de leurs prétentions à la priorité. Contentons-nous de dire qu’ils arrivent à un même résultat. L’hydrogène comprimé autant qu’on le veut, refroidi par l’azote bouillant dans le vide, ne se liquéfie pas, ne se sépare pas en deux matières distinctes, l’une gazeuse au-dessus, l’autre au fond, limitée par un ménisque distinct : c’est encore un gazo-liquide ; mais quand on le laisse se détendre en ouvrant le tube, on voit un liquide transparent et incolore.

Voilà donc enfin terminée cette question si longtemps et si obstinément poursuivie de la liquéfaction des gaz. En voyant la facilité des derniers procédés, on s’étonne qu’elle ait été si difficile à résoudre : c’est qu’à l’origine, tout était à trouver, la notion du point critique et les procédés de réfrigération ; c’est aussi qu’il fallait procéder par degrés, faisant servir chaque gaz à la réduction d’une autre matière plus réfractaire que lui-même ; c’est enfin que, suivant le mot de Biot, il n’y a rien de si aisé que ce qu’on a découvert la veille, et de si difficile que ce que l’on doit découvrir le lendemain. On peut maintenant se demander si tant de peine était nécessaire pour aboutir à des liquides qui ressemblent à de l’eau et dont on ne tire aucun parti : il faut réserver le jugement de l’avenir. La chimie va s’occuper de ce nouvel état de la matière et l’industrie s’en emparer. Pour le moment, la philosophie naturelle a gagné de savoir que toutes les espèces de matières prennent les trois états et obéissent à des lois communes.

En terminant, je ne puis m’empêcher d’aborder une question toujours délicate ! A qui faut-il attribuer particulièrement le mérite