Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au-dessus de cette température, bouillant avec rapidité à — 180 degrés. Quelques jours après ce premier succès, les deux professeurs polonais réussissaient de la même manière à liquéfier l’azote, matière plus réfractaire, qui exigeait 36 atmosphères et — 146 degrés. On remarquera que, pour arriver à ce double résultat, il avait fallu se livrer à des manipulations longues, difficiles et coûteuses. Un si grand refroidissement demande une ébullition dans le vide, c’est-à-dire rapide, exigeant la dépense d’une grande quantité d’éthylène : c’est pourquoi M. Cailletet, qui avait eu le regret d’être devancé, vient heureusement de prendre sa revanche en rendant l’opération plus aisée. Il s’est adressé à un autre carbure d’hydrogène, à celui qui se dégage souvent de la vase des marais, qu’on nomme formène ; ce gaz se liquéfie moins aisément que l’éthylène, mais par cela même, il bout dans l’air à une température beaucoup plus basse, qui est de 160 degrés au-dessous de zéro. Cela suffit pour liquéfier l’azote et l’oxygène au milieu d’un bain de formène, avec autant de facilité que l’on en trouve pour l’acide sulfureux dans un mélange réfrigérant.

Si elle est résolue pour l’air, la question l’est-elle aussi pour l’hydrogène ? M. Pictet l’avait abordée dans ses expériences ; il avait comprimé l’hydrogène jusqu’à 820 atmosphères et l’avait refroidi à — 140 degrés ; puis il ouvrit le conduit qui fermait le réservoir. Le gaz se précipita sous la forme d’un jet mêlé de brouillard dont la couleur parut être d’un gris d’acier ; au commencement de l’expérience, il entraînait avec lui des fragmens solides qui retombaient sur le plancher et faisaient le même bruit que des grains de plomb : il était naturel de penser que l’hydrogène avait été non-seulement liquéfié, mais même solidifié. La chimie a depuis longtemps signalé l’hydrogène comme analogue aux métaux, car l’eau ressemble à un oxyde et l’acide chlorhydrique à un chlorure ; aussi, quand M. Pictet annonça son expérience, on fut ravi d’apprendre que l’hydrogène était gris d’acier et tombait en grenaille. Malheureusement il y a des raisons sérieuses pour interpréter autrement cette expérience. Il faut, pour réussir, des froids bien autrement aigus ; mais on peut les demander à l’oxygène et à l’azote. Puisqu’on sait maintenant les réduire, les préparer par grandes masses, on va les employer à leur tour, comme réfrigérans, pour attaquer l’hydrogène ; ils prendront la place de l’éthylène, céderont la leur à l’hydrogène comprimé, et rien ne sera changé aux appareils. L’azote, qui est le plus réfractaire, atteint dans ces conditions des températures qui dépassent ce qu’on avait pu rêver ; il atteint — 194 degrés dans l’air, et on peut l’amener à — 213 degrés dans le vide.

Ces températures sont tellement basses qu’il a fallu inventer de