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décisifs, on devra admettre que, sans rien enlever à M. Cailletet, la gloire du succès doit être partagée, bien qu’inégalement, par M. Pictet et que les noms des heureux inventeurs restent indissolublement honorés. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’une estime et une amitié réciproques a depuis longtemps réuni ces deux hommes qu’une même pensée avait amenés sur un terrain commun.


IV

A vrai dire cependant, la liquéfaction complète de l’hydrogène et des élémens de l’air n’avait pas été réalisée ; personne n’avait encore vu les derniers représentans d’une classe rebelle accumulés à l’état statique au fond d’un tube et séparés de leur vapeur par cette surface concave bien nette qu’on nomme ménisque ; mais on devait aux expériences précédentes la démonstration de ces deux points : la liquéfaction était possible, et, pour la réaliser, il suffisait d’abaisser la température au-dessous de — 120 degrés. Il n’y avait plus qu’à chercher des moyens de réfrigération assez puissans et il fallait s’adresser à l’ébullition de gaz plus récalcitrans que l’acide carbonique ou le protoxyde d’azote. Dans cette intention, Cailletet étudia l’éthylène.

L’éthylène est un hydrogène bicarboné de même composition que le gaz de l’éclairage ; refroidi par l’acide carbonique jusqu’à — 73 degrés et comprimé à 56 atmosphères, l’éthylène se transforme aisément en un liquide qui bout dans l’air à la température de — 103 degrés, ce qui est une température encore trop élevée pour la recherche projetée ; mais elle devait s’abaisser beaucoup en faisant l’expérience dans le vide. M. Cailletet se disposait à la tenter ; il avait annoncé son projet à tout le monde et faisait construire des appareils lorsque l’Académie reçut les deux télégrammes que j’ai rapportés au commencement de cette étude. M. Wroblewski avait assisté dans le laboratoire de l’École normale aux expériences de M. Cailletet, dont il acheta les appareils ; il les emporta à Cracovie, s’assura la collaboration d’un collègue, M. Olszewski, et fit bouillir l’éthylène, non plus dans l’air, mais dans le vide de la machine pneumatique. Il vit sa température s’abaisser depuis — 103 jusqu’à — 150 degrés. C’était le plus grand froid qu’on eût encore obtenu ; il était suffisant ; le succès fut complet et l’on vit l’oxygène, comprimé préalablement dans un tube de verre, devenir un liquide permanent, avec ménisque bien dessiné. Il se présenta, comme tous les autres, sous la forme d’une matière incolore et transparente, semblable à l’eau, un peu moins dense que l’eau, ayant son point critique à — 113 degrés, pouvant se former au-dessous, jamais