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Momentanée, et que l’on pourrait peut-être recueillir à l’état solide, comme Thilorier l’avait fait de l’acide carbonique.

Le 2 décembre 1877, M. Cailletet avait entassé de l’oxygène jusqu’à 300 atmosphères dans un tube de verre et l’avait refroidi jusqu’à — 29 degrés ; le gaz n’avait point changé d’aspect et était, suivant toute probabilité, à cet état gazo-liquide dont nous venons de parler ; il ne lui manquait pour se liquéfier que d’être refroidi. Alors on ouvrit la soupape, le gaz se détendit, sa température baissa de 200 degrés, et l’on vit sortir le jet caractéristique de brouillard blanchâtre dont l’acide carbonique avait offert le premier exemple. L’oxygène avait donc été momentanément liquéfié, peut-être solidifié. Il en fut de même de l’azote ; rien de bien ne se vit avec l’hydrogène.

Pendant que M. Cailletet faisait à Paris cette expérience décisive, M. Raoul Pictet la préparait, de son côté, à Genève. Héritier d’un grand nom scientifique, dans une ville studieuse entre toutes, il avait suivi une voie contraire à celle de M. Cailletet ; élevé pour le professorat, il s’était laissé tenter par l’industrie et avait monté une grande usine pour fabriquer de la glace par l’ébullition de l’acide sulfureux. Ayant à sa disposition toutes les matières nécessaires, il comprima l’oxygène jusqu’à 320 atmosphères dans un réservoir refroidi à — 140 degrés par l’acide carbonique bouillant dans le vide. Il est probable que, dans ces conditions, le gaz était au-dessous du point critique et liquéfié. Quand on ouvrit tout à coup, il se mit à bouillir et fut projeté de tous côtés. M. Pictet crut même avoir liquéfié, voire solidifié l’hydrogène, mais il est probable qu’il s’était fait illusion.

L’expérience de M. Pictet est du 22 décembre, vingt jours après celle de M. Cailletet. Il ne faut pas s’étonner du soin que nous prenons de fixer ces dates : la découverte des faits nouveaux est l’unique espérance du savant et la seule récompense de ses peines ; elle illustre son nom, recommande sa personne et lui promet le souvenir de la postérité. La plus indéniable justice veut qu’elle soit attribuée à celui des concurrens qui, le premier, l’a annoncée au monde. Sur ce point, il ne peut y avoir aucun doute : M. Cailletet a vingt jours d’avance. Est-ce à dire qu’on doive effacer le nom de M. Pictet, considérer ses efforts comme nuls et lui refuser toute part dans l’honneur d’un si grand résultat ? Personne ne voudrait le soutenir, et M. Cailletet lui-même ne l’a jamais demandé. Si l’on considère que les deux savans ont employé plusieurs années à méditer le sujet, à préparer des appareils, à inventer des méthodes, qu’ils travaillaient séparément, que les dates sont les mêmes, à quelques jours près, que d’ailleurs les appareils de M. Pictet étaient plus puissans, les résultats plus accentués et plus