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— un physicien ingénieux à qui on doit de curieux travaux et, en particulier, le premier emploi du gaz à Paris, dans le passage des Panoramas, — avait enfermé de l’éther dans des tubes de verre très résistans et les avait chauffés sur un fourneau, au péril de sa vie, jusqu’à des températures très élevées. Le liquide disparaissait tout entier ou se reformait brusquement pour le moindre échauffement ou le plus petit abaissement de température parce qu’il était au-dessus ou au-dessous du point critique.

La découverte de ces propriétés fit voir comment les tentatives pour liquéfier l’air avaient dû rester inutiles ; c’est qu’à la température ordinaire il est dans l’état gazo-liquide ; la liquéfaction n’est possible que s’il peut se séparer de la vapeur par une densité plus grande ; il faut donc commencer par abaisser sa température au-dessous de son point critique ; c’est ce que comprirent, c’est ce qu’exécutèrent presque en même temps MM. Cailletet et Raoul Pictet. M. Cailletet n’est point un savant de profession, c’est un curieux. Maître de forges en Bourgogne, physicien à Paris, partageant son temps entre les attraits du laboratoire et les nécessités de son industrie ; c’est un homme de ressources, patient et entêté dans ses projets, ce qui est la première qualité du physicien. Comme les procédés de réfrigération alors connus ne dépassaient pas 110 degrés au-dessous de zéro, il eut l’idée d’utiliser la détente. Voici ce que c’est : lorsqu’on a échauffé jusque vers 200 degrés de l’eau enfermée dans la marmite de Papin et qu’on ouvre tout, à coup la soupape, la vapeur accumulée sous la pression de 30 ou 40 atmosphères s’échappe en se dilatant, en absorbant de la chaleur latente ; formée à 200 degrés, elle se refroidit au point qu’on peut sans danger tenir la main dans le jet, qu’elle se condense en un brouillard épais et en pluie qui retombe tout autour du fourneau. C’est cette dilatation brusque qui constitue la détente, c’est cette chaleur absorbée qui refroidit et liquéfie la vapeur. Pareillement Thilorier accumula dans sa marmite une grande masse d’acide carbonique liquéfié sous la pression de sa vapeur, puis il ouvrit le conduit, laissa le gaz se détendre dans l’air et vit comme avec la vapeur un brouillard se former. C’était l’acide carbonique lui-même, tellement refroidi par sa détente que non-seulement il redevenait liquide, mais passait à l’état de neige solide. J’ai déjà dit comment il la recueillit et l’usage qu’il en fit. C’est cette expérience, une des plus belles de la physique, qu’il s’agissait de répéter avec l’azote, l’oxygène et l’hydrogène, après les avoir comprimés et refroidis par les moyens ordinaires, avec l’espoir de les refroidir assez pour voir ce brouillard caractéristique qui devait démontrer leur liquéfaction