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aisément aux premières affections de sa jeunesse, il crut le moment venu de faire un nouvel effort en faveur de ses croyances. Après vingt-deux ans de repos, il résolut de poursuivre la liquéfaction des gaz rebelles jusqu’au complet épuisement des moyens d’action. Ces moyens ne manquaient pas. Thilorier lui avait appris à solidifier aisément de très grandes masses d’acide carbonique, à les mêler avec l’éther pour en faire un mélange réfrigérant ; le protoxyde d’azote, qui se préparait avec la même facilité et avec la même abondance, pouvait bouillir très régulièrement dans le vide à la température de — 120 degrés au-dessous de zéro. Faraday avait donc toute possibilité de soumettre les gaz à des froids jusqu’alors inconnus. Comme, d’ autre part, il fallait les comprimer, il fit construire une pompe foulante à deux corps, l’un qui prenait le gaz à sa naissance et l’accumulait à 15 atmosphères dans un réservoir, l’autre qui l’y repuisait pour le refouler avec une pression incomparablement plus grande dans un réfrigérant en verre de bouteille, étroit, épais, très solide, qui plongeait dans l’acide carbonique ou dans le protoxyde d’azote. Ainsi le froid se combinait avec la pression. À ce moment, on ne pouvait faire davantage : ce fut heureusement assez pour vaincre la plupart des difficultés. Faraday eut la satisfaction de liquéfier presque tous les gaz connus et d’étendre la loi qu’il avait énoncée ; mais il eut le regret amer d’échouer devant des résistances infranchissables : sa terre promise lui échappa. Six gaz, seulement six, persistèrent, il faut les citer, ce sont : l’hydrogène bicarboné ou gaz d’éclairage, le gaz des marais, l’oxyde de carbone, les deux élémens de l’air, oxygène et azote, et enfin le plus léger et le plus réfractaire de tous, l’hydrogène.

La science est une bataille qu’il faut toujours recommencer : plus ils se défendaient, mieux on poursuivit les gaz. On chercha d’abord de nouveaux et plus énergiques moyens de compression. Aimé, qui était professeur à Alger, profita du voisinage pour faire plonger dans la mer des manomètres pleins d’air. La pression atteignait 400 atmosphères à une lieue de profondeur, mais ce fut inutilement ; la sonde relevée, Aimé ne vit aucun indice de liquéfaction. M. Berthelot alla plus loin et plus simplement ; il construisit une espèce de thermomètre à mercure avec un grand réservoir, avec une tige très étroite, remplie d’air et fermée. En chauffant, le mercure se dilatait, réduisait le volume du gaz autant qu’on le voulait, jusqu’à la rupture du tube ; rupture sans danger parce que le vase était trop petit et que le mercure se dilatait très peu quand elle avait lieu. Soumis à cette formidable épreuve, l’oxygène supporta 780 atmosphères, la plus haute pression qu’on eût encore produite ; le tube se brisa, l’oxygène n’avait pas changé d’état.