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créanciers, inspiré par une appréciation tout opposée des ressources de l’Égypte. Entre les deux gouvernemens armés de propositions différentes, mettant une vivacité égale à soutenir des programmes opposés, les représentans des autres puissances ont pris le parti de l’abstention, de la neutralité, après avoir vainement essayé d’étendre ou de transformer la délibération. Le président du congrès, c’est-à-dire de la conférence, lord Granville, s’est fait, lui aussi, un devoir d’opposer la question préalable aux interrogations indiscrètes, et il a fini par prononcer la clôture, l’ajournement indéfini, qu’enregistre un dernier protocole. On a eu beau s’en défendre et tenter un suprême effort pour laisser la porte de la conférence tout au moins entrouverte, en demandant l’ajournement de la réunion au mois d’octobre, lord Granville a tenu à en finir sur l’heure par une sorte de congé assez cavalièrement donné à la diplomatie, qui, une fois de plus, se trouve avoir été appelée à délibérer pour rien. Le dénouaient est médiocre, et, à dire vrai, dans les termes où le gouvernement anglais a prétendu maintenir jusqu’au bout la question, c’était inévitable.

On ne s’est jamais bien entendu dans cette affaire égyptienne, c’est là la vérité, c’est le secret de ce dernier échec de la conférence de Londres. L’Angleterre, qui avait besoin du concours de l’Europe pour le « règlement des difficultés financières de l’Egypte, » a cru pouvoir faire appel à la diplomatie pour lui demander un pur et simple enregistrement des projets qu’elle avait à lui soumettre ; elle proposait une conférence pour obtenir un blanc-seing ! Les cabinets européens ont accepté la conférence sans aucune arrière-pensée d’hostilité assurément, sans avoir la moindre intention de créer de nouveaux embarras à l’Angleterre ou de décliner systématiquement ses propositions ; mais ils étaient en même temps fondés à supposer que, s’ils avaient à modifier des actes internationaux assez graves, à toucher aux garanties des anciens créanciers de l’Egypte, ils avaient au moins le droit d’avoir une opinion sur les combinaisons qu’on leur soumettrait, sur l’ensemble et les causes de ces difficultés financières auxquelles on leur demandait de remédier. La diplomatie, sans prétendre abuser de son droit, pouvait se croire autorisée à l’exercer. C’est là le malentendu, et la divergence qui s’est plus particulièrement manifestée, qui s’est précisée à la dernière heure entre la France et l’Angleterre, entre le projet financier anglais et les propositions financières françaises, cette divergence n’est que la traduction saisissable du dissentiment profond, latent qui était dans la conférence de Londres.

La vérité est que l’Angleterre s’est efforcée d’écarter à chaque pas tout ce qui n’était pas son projet, les propositions françaises aussi bien qu’une proposition de l’ambassadeur d’Allemagne au sujet des conditions sanitaires de l’Egypte. Lord Granville a jugé que la question préalable pouvait s’appliquer à tout. C’était effectivement plus