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pour réserver les droits du suffrage universel ? Ils ont cassé et invalidé sans scrupule. Est-ce que, depuis un certain nombre d’années, ces radicaux, si chatouilleux aujourd’hui pour leurs droits, ne se sont pas associés à tous les actes discrétionnaires, à toutes les exécutions par voie de police administrative, à toutes les mesures violentant les croyances, les idées, les mœurs, les traditions d’une partie du pays ? Ils ont prêté à tout leur ardent appui. Et cependant cette minorité exclue des commissions, invalidée, violentée dans ses droits et dans ses croyances, représente, de l’aveu même des plus récentes statistiques officielles, presque une moitié de la population française.

Tant que les radicaux ont vu leurs passions, triompher par la politique officielle et ministérielle, ils n’ont rien dit, ils ne se sont pas inquiétés de l’oppression des minorités. De quoi peuvent-ils se plaindre aujourd’hui ? Ils subissent la loi qu’ils ont faite ; ils ont légitimé ou justifié d’avance, par leur conduite, tous les excès des majorités, toutes les représailles des réactions. De sorte que, si les républicains ministériels sont assez comiques dans leurs lamentations au sujet des excentricités et de l’indiscipline des partis extrêmes, les radicaux, à leur tour, sont assez plaisans quand ils prétendent qu’on viole en eux les garanties dues aux minorités. Ce n’est là, au fond, que la lutte peu sérieuse de deux factions aux prises pour se disputer le droit d’abuser du pouvoir. Voilà la vérité ! Voilà la moralité qui se dégage de ces discussions aussi stériles que tumultueuses, et c’était bien la peine d’offrir cet étrange spectacle à la France, même un peu à l’Europe, pour finir par le plus médiocre des dénoûmens ! Car enfin, de quoi s’agit-il dans tout cela ? Cette révision pour laquelle on a bravé de si inutiles orages, qui est désormais votée, elle se réduit, au demeurant, à extraire de la constitution quelques articles qui ont trait au mode de formation du sénat et à promettre une nouvelle loi électorale. Après cela le congrès est fini, arrivera ce qui pourra !

A la vérité, ce n’est pas tout encore. Il reste un supplément bien fait pour caractériser, pour illustrer cette réforme, et si opportunistes et radicaux se sont livré de peu édifiantes batailles, ils sont toujours prêts à se réconcilier sur certains points. Nous ne parlons pas des prières publiques inscrites dans la constitution. Les prières publiques, bien entendu, sont supprimées, — ce qui n’empêchera probablement pas M. le ministre des cultes de continuer à priver de son modeste traitement quelque pauvre desservant qui aura négligé de réciter les prières réglementaires pour la république. C’est la logique des réformateurs du jour ! Il y a une autre chose capitale, qui à elle seule aurait suffi pour justifier la révision ; il y a la disposition introduite dans la constitution pour consacrer la pérennité de la république et pour exclure les princes de la politique. Voilà la grande conquête !

C’est pourtant beaucoup de réunir huit cents sénateurs et députés,