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oublier par ses actes, par ses concessions incessantes ; il a livré aux radicaux des intérêts qu’un esprit réellement modéré aurait dû protéger. Il s’est flatté de désarmer les radicaux en jouant le même air et en croyant le jouer mieux ; il s’est peut-être trompé, et si, après tant de complaisances pour les radicaux, M. le président du conseil et ses amis rencontrent dans ce parti une hostilité qui leur crée des embarras, ils n’ont que ce qu’ils méritent. Ils n’ont peut-être pas acquis une autorité suffisante pour faire sentir à leurs nouveaux adversaires le frein d’une politique sérieuse et forte. Ils se sont exposés à être traités comme des réactionnaires honteux, quoi encore ? comme des orléanistes déguisés. C’est bien cruel pour des républicains, on en conviendra ; mais c’est ainsi, c’est ce qui leur est arrivé dans cette discussion sur la révision constitutionnelle, — puisqu’il est bien clair qu’une réforme maintenue dans les limites du bon sens doit nécessairement être orléaniste.

Les républicains ministériels n’ont que ce qu’ils méritent ; ils n’ont pas le droit de se plaindre d’être traités en ennemis, en modérés, en orléanistes ! C’est le châtiment de leurs complaisances, de leurs complicités, des concessions qu’ils ont si souvent faites sans conviction à des excès de parti et qui ne leur ont servi à rien, qui ne les préservent pas même d’accusations ridicules ; mais ce qu’il y a de plus curieux encore, pour compléter la moralité de ces singuliers débats, c’est l’attitude que les radicaux eux-mêmes ont prise en face d’une majorité ministérielle décidée à tout accepter, à s’armer de la question préalable contre toutes les oppositions. A les entendre, ils sont des victimes, des persécutés ! Ils n’ont pas pu même se faire représenter dans la commission nommée par le congrès pour préparer la révision constitutionnelle. Ils n’ont pas la liberté d’exposer leurs griefs, de soutenir leurs revendications, de défendre leur politique, sans rencontrer à chaque pas un veto insolent et tyrannique. On leur refuse la part légitime assurée aux minorités dans tous les temps et dans tous les pays libres. Voilà qui est au mieux ! C’est un plaidoyer plein d’éloquence contre les majorités qui abusent du nombre et de la force. Malheureusement c’est y songer un peu tard. Ah ! les radicaux trouvent qu’on ne respecte pas en eux le droit des minorités ! Qu’ont-ils donc fait eux-mêmes depuis quelques années, d’accord avec cette majorité qu’ils appellent si dédaigneusement aujourd’hui le juste-milieu, le centre, la faction orléaniste ? Lorsqu’on a refusé obstinément à l’opposition conservatrice ne fût-ce qu’un seul représentant dans la commission du budget, les radicaux ont-ils songé à protester contre cette exclusion ? Ils l’ont approuvée et sanctionnée, au contraire, de leur vote. Quand la chambre, dans un intérêt de parti et de domination, a décrété l’invalidation en masse des élections des conservateurs, est-ce que les radicaux ont prononcé une parole pour défendre leurs collègues,